Interviewer Sean Penn n’est pas une simple formalité. En quarante ans de carrière, la star américaine s’est forgée une telle réputation, par ses frasques et ses engagements, qu’en allant le retrouver, on est toujours dans ses petits souliers. Dernier exemple, lors du dernier Festival de Cannes. Le vieux lion présentait en compétition officielle Black Flies , le sombre et haletant thriller du réalisateur français Jean-Stéphane Sauvaire. Avec sa puissance de jeu légendaire et un poignant côté désabusé, l’acteur y incarne un ambulancier urgentiste abîmé par ses années de service de nuit dans les bas-fonds de New York. Il y fait équipe avec une jeune recrue incarnée par le talentueux Tye Sheridan.
Alors qu’une pluie battante s’abat sur le tipi dans lequel on nous a installés, sur la terrasse du Palais des Festivals, on attend sagement que la star termine son déjeuner avec Thierry Frémaux et Harrison Ford. Lorsqu’il débarque, à l’heure dite, son corps sec et musclé en dit autant sur l’intensité de sa personnalité que son regard mi-séduisant mi-flippant. De Black Flies, qui rappelle À tombeau ouvert, avec Nicolas Cage dans le rôle de l’ambulancier, Sean Penn salue le talent du réalisateur: «Je ne saurais dire si le fait qu’il soit français confère un regard différent sur cette histoire new-yorkaise mais Jean-Stéphane a assurément une vraie vision, en tant que cinéaste.»
Il vante ensuite le sujet, mettant en lumière des héros ordinaires: C’est le genre de films que j’aime voir et dans lesquels je veux être impliqué.» Concernant son investissement, il le dit entier: Tye et moi sommes arrivés sur place deux mois et demi avant le tournage pour apprendre le travail auprès des vrais ambulanciers, et nous nous entraînions ensemble, sur des mannequins pour maîtriser parfaitement les gestes des premiers soins.» Sur son partenaire, il ne tarit pas d’éloges: C’est un leader qui sait exprimer son esprit créatif et avec qui on peut se questionner mutuellement. Sur le plan humain, c’est un homme attentif aux autres, un confident qui sait remonter le moral des gens. Quant aux critiques, décrivant un «film coup de poing», il s’en félicite: «J’aime sentir que tous les films auxquels je participe, à quelque titre que ce soit, et dont je suis fier du résultat, provoquent une réaction inattendue. Je peux dire alors qu’ils ont eu un impact.»
Vient pour lui le moment d’aborder l’autre grand projet qui l’occupe depuis de longs mois: Superpower , un documentaire entamé à l’aube de la guerre en Ukraine. «J’ai rencontré pour la première fois Volodymyr Zelensky le 23 février 2022, la veille de l’invasion de son pays par la Russie. Du jour au lendemain, cet homme est devenu un chef d’État en guerre, la principale cible de Poutine et je n’avais jamais vu un tel courage chez quelqu’un.» Présenté à la Berlinale, diffusé à la télévision ukrainienne et dans quelques pays via internet, ce documentaire qu’il cosigne avec Aaron Kaufman attend encore un diffuseur en France.
Investi jusque dans la distribution, Sean Penn a pourtant dû laisser aux producteurs le soin de s’en occuper: Paul Thomas Anderson l’attendait sur son plateau pour donner la réplique à Leonardo DiCaprio dans ce qui apparaît comme le projet le plus attendu, mais aussi le plus énigmatique de 2025. Pas de synopsis, pas de titre, mais un indice lâché par le site Deadline: ce serait le film le plus commercial tenté par Paul Thomas Anderson avec un budget conséquent». L’occasion, pour Sean Penn, de retrouver le cinéaste, deux ans après Licorice pizza et de conserver, à 63 ans, sa place parmi les acteurs les plus influents du septième art.