Le sort de Body Shop France s’assombrit. La filiale française de la chaîne britannique de cosmétiques, récemment acquise par le fonds d’investissement allemand Aurelius, a été placée en redressement judiciaire ce jeudi par le tribunal de commerce de Paris. Cette situation fait écho aux difficultés traversées par The Body Shop en Grande-Bretagne, où l’entreprise, en dépôt de bilan, s’apprête à fermer 75 magasins.
La situation n’est guère meilleure dans les 66 magasins de l’Hexagone. En situation de cessation de paiements, The Body Shop France a déposé le bilan le 19 mars auprès du Tribunal de commerce de Paris. Dans la foulée, son nouveau dirigeant, Martin Rivers, a annoncé aux 266 salariés français qu’il entendait demander le placement en redressement judiciaire de l’entreprise. À l’issue de l’audience qui s’est tenue ce jeudi, le tribunal de commerce de Paris a confirmé le placement en redressement et l’ouverture d’une période d’observation de six mois visant à réaliser un diagnostic de l’entreprise, et préparer un plan de redressement.
Les salariés ont senti le vent tourner en début d’année, lorsque The Body Shop a quitté le portefeuille du groupe brésilien Natura
Les difficultés de l’enseigne ne datent pas d’hier. «Des fermetures de magasins étaient déjà en cours depuis plusieurs mois, sans qu’elles soient forcément liées au changement de propriétaire», confie l’ancienne salariée. «Ça fait longtemps que l’entreprise va mal. Beaucoup de gel de recrutement, jamais d’augmentation, ni de prime participative», souligne-t-elle. Ébranlée par le Covid, la branche française s’était pourtant démenée pour renouer avec la croissance. Alors qu’au printemps 2023, les ventes mondiales de l’enseigne reculaient de 24,3%, l’ex-PDG de The Body Shop, Hugues Laurençon, annonçait le renforcement de la filiale par la franchise. L’ouverture de 30 nouveaux points de ventes sous franchise d’ici 3 ans devait s’accompagner d’une rationalisation du parc de magasin global. Mais ce volontarisme tricolore n’a pas permis de compenser les déboires du groupe Natura
Nul ne sait avec certitude ce qu’envisage le nouveau propriétaire de The Body Shop dans le cadre de son plan de redressement. La vente de certains points de vente ou le licenciement d’une partie des salariés n’est pas à exclure. «Pour ce qui est des équipes, il y a vraiment un climat perturbant et anxiogène. On ne sait pas ce qui va arriver ni quand», s’inquiète l’ancienne salariée de l’enseigne. Si certaines boutiques devaient baisser le rideau, l’ex-employée suppose que le couperet tombera sur celles dont les comptes sont aujourd’hui dans le rouge. «Il y en a un paquet», souffle-t-elle. «Sur l’année 2023, seules 4 à 5 boutiques sur la flotte totale étaient rentables et certaines l’étaient de peu». L’avenir des quelque 260 salariés est donc plus qu’incertain. «C’est angoissant d’être à l’intérieur et de ne rien savoir», commente un salarié en poste.
Une interrogation demeure : comment cette marque à la notoriété forte, pionnière à sa création, a-t-elle pu se retrouver dans une telle situation ? Né en Grande-Bretagne en 1976 sous l’impulsion de la femme d’affaires Anita Roddick, The Body Shop a longtemps fait figure de leader mondial de la cosmétique «naturelle». Dénonciation des tests sur les animaux, composition végétale… Le positionnement engagé et éthique de la marque a contribué à asseoir sa renommée dans les années 80. Certains de ses produits – le parfum White Musk, le beurre corporel – sont même devenus des best-sellers de la décennie. Le succès du modèle a d’ailleurs dépassé les frontières britanniques puisqu’au moment de sa cession à L’Oréal en 2006, The Body Shop comptait plus de 2000 boutiques dans une cinquantaine de pays.
Ce rachat, qui a fait couler beaucoup d’encre – Anita Roddick avait été accusée de tourner le dos à ses engagements environnementaux – s’est révélé moins concluant que prévu. Malgré ses investissements, L’Oréal n’est pas parvenu à faire décoller son atout «vert». Du haut de ses 3000 magasins, The Body Shop affichait un chiffre d’affaires global de 920,8 millions d’euros en 2016, en recul de 4,8%. En France, la marque britannique s’est vue contrainte de composer avec son rival de toujours, l’enseigne Yves Rocher, elle aussi spécialisée dans la beauté végétale. Mais, au fil des années, d’autres concurrents ont pointé le bout de leur nez (Lush, Dr. Hauschka, Avril…), mettant en péril l’enseigne historique. Alors que le marché de la beauté connaît un dynamisme sans précédent depuis la sortie de la crise sanitaire, The Body Shop pâtit de sa faible notoriété auprès des plus jeunes et de son positionnement prix devenu illisible. «La marque a du potentiel, mais il va falloir changer complètement de stratégie pour remonter la pente», commente-t-on en interne.