Il fallait y penser : faire incarner Marcello Mastroianni par sa fille, Chiara. C’est le pari de Christophe Honoré dans Marcello Mio, un film en compétition officielle au Festival de Cannes, et en salle dès mardi soir. Catherine Deneuve, mère de Chiara Mastroianni, y tient son propre rôle. Les deux femmes monteront les marches du Palais des Festivals mardi à 19 heures. L’occasion de saluer la mémoire de ce comédien qui a incarné l’âge d’or du cinéma italien à l’écran et la dérision à la ville. Mastroianni en cinq coups d’œil.
Visconti l’a initié au théâtre en 1948 mais c’est Fellini qui, en préférant son visage à celui de Paul Newman, le rend célèbre avec La Dolce Vita, en 1960. Mastroianni, 36 ans, déjà une quarantaine de films derrière lui, devient un jeune premier: «Avant je jouais les chauffeurs de taxi, après j’ai été classé dans les acteurs pour intellos, expliquait-il. Je suis devenu l’acteur-miroir de Fellini et même son double dans Huit et demi (1963) et Intervista (1987).»
Un double qui permet au cinéaste de laisser déborder son imagination. Ils tournent sept films ensemble, avec bonheur. «Ma rencontre avec lui m’a offert la vraie amitié, celle rare et précieuse d’un grand frère, plus intelligent, plus profond, plus sensible que moi», témoignait Mastroianni. «Marcello est mon double, l’excroissance de mon bras (…), répondait Fellini. L’Italien sympathique sur lequel on projette ce qu’il y a de meilleur en nous. Et à qui on pardonne tous ses défauts parce qu’ils sont les nôtres.»
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«Marcello !», lance Anita Ekberg depuis la fontaine de Trevi, ceinte dans une robe bustier noire. Mastroianni est hypnotisé. La Dolce Vita, palme d’or à Cannes, fait scandale à sa sortie, en 1960. Et pas seulement pour l’audacieuse sensualité de ce bain de minuit. Le cinéaste montre à l’écran une Italie qui vacille sur ses bases traditionnelles, ce qu’une partie du public ne lui pardonne pas. «Marcello et moi avons échappé de justesse au lynchage. J’ai pris un crachat à la figure et lui a reçu des insultes comme “fainéant”, “lâche”, “débauché”, “communiste”…», racontait Fellini.
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«Marcello ressemble à Platonov de Tchekhov, pour cette nécessité de l’homme moderne de trouver une raison de vivre, de chercher toutes les sensations, d’avoir des aventures pour se justifier, pour justifier sa journée», décryptait l’acteur.
En 1970, Marcello Mastroianni rencontre Catherine Deneuve, à Londres, chez Roman Polanski. Il a le crâne rasé, elle ne le reconnaît pas tout de suite. Ils sympathisent et se retrouvent, quelques mois plus tard, sur le tournage de Ça n’arrive qu’aux autres, où ils doivent incarner un couple. Entre deux scènes, Marcello, 46 ans et marié depuis 1950, Catherine, 27 ans et bientôt divorcée, entament une idylle.
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Ils tournent la même année le troublant Liza de Marco Ferreri. Deneuve y campe une belle bourgeoise qui se donne corps et âme, sur une île déserte, à un Robinson solitaire incarné par Mastroianni. Le 28 mai 1972 naît leur fille Chiara. Ils se donnent ensuite la réplique dans L’Evénement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune et Touche pas à la femme blanche.
Avant que Deneuve ne rompe en 1974. «Notre vie commune s’est soldée par un échec et… je n’aime pas les échecs. Ne pas avoir la même éducation, les mêmes racines, la même langue, oui que d’écueils…», regrettait-elle. Chiara et Catherine seront tout de même au chevet de Marcello, à sa mort, en 1996. Mastroianni n’aura jamais divorcé de l’actrice Flora Carabella, la mère de sa première fille, Barbara.
L’Italien a donné la réplique, au cours de sa carrière, à Brigitte Bardot, Claudia Cardinale, Monica Vitti, Romy Schneider comme Ursula Andress, mais c’est avec Sophia Loren, alors aussi célèbre en Italie qu’à Hollywood, qu’il a le plus tourné. Parmi leurs scènes les plus célèbres, l’effeuillage espiègle de Hier, aujourd’hui et demain de Vittorio De Sica, réalisé en 1963 et Oscar du meilleur film en langue étrangère. Ou le mambo d’Une journée particulière (1977). Sophia Loren assurait à la mort de Mastroianni : «C’était la famille. Avec sa mort, j’ai perdu un bout de moi-même.»
Mastroianni n’aimait pas qu’on le qualifie, de «latin lover», ces séducteurs au teint hâlé dont raffolait Hollywood. «Moi, je suis faillible, très faillible», jurait-il. Il n’a d’ailleurs eu de cesse d’incarner des personnages désarmés ou décalés : mari impuissant dans Le Bel Antonio (1960), conjoint désabusé dans La Nuit (1961), homosexuel mélancolique dans Une journée particulière (1978), homme enceint dans L’événement le plus important…
Deux fois primé à Cannes et trois fois à Venise, Mastroianni aimait son métier – «on y cherche une peau que l’on n’a pas» – mais choisissait de ne pas le prendre trop au sérieux : «Je n’aime pas les légendes, quand les acteurs disent qu’ils souffrent. À 8 heures, une voiture vient vous chercher au studio, on vous propose un café, on vous maquille (…) Le soir ils vous ramènent à la maison, vous avez gagné de l’argent, quelques fois vous êtes tombé amoureux car les actrices sont des belles filles. Quel métier de merde !»