Correspondant à Londres

C’est un jeune homme pressé, qui a vite tracé son chemin. Le nouveau premier ministre irlandais est le plus jeune de l’histoire du pays. Simon Harris est devenu mardi « Taoiseach » à 37 ans, après avoir pris la tête du parti de centre-droit Fine Gael. Avec la rude tâche de lui redonner un nouveau souffle.

C’est un coup de théâtre qui a poussé le jeune politicien au faîte du pouvoir. À la surprise générale, le premier ministre, Leo Varadkar, avait annoncé sa démission le 20 mars dernier. Celui qui était à la tête de l’exécutif depuis décembre 2022 – après un premier mandat entre 2017 et 2020 – a aussi quitté la direction du Fine Gael. Cet homme de 45 ans – devenu premier ministre à 38 ans – voulait incarner une « Irlande moderne ». Il a évoqué des « raisons personnelles et politiques », estimant qu’un nouveau leader serait mieux à même de mener le parti à la bataille des élections générales, prévues au plus tard en février 2025. Cette annonce faisait suite au cuisant revers lors d’un référendum où les Irlandais ont répondu « non » à deux amendements à la Constitution, pour moderniser la définition de la famille et la place de la femme dans la société.

Il a beau s’être décrit un jour comme un « politicien accidentel », Simon Harris a tout fait depuis longtemps pour s’offrir ce destin. On raconte même qu’il tenait cette ambition suprême depuis son enfance. Natif de la ville côtière de Greystones, près de Dublin, il rejoint le parti Fine Gael dès l’âge de 16 ans. Ce fils d’un chauffeur de taxi et d’une assistante scolaire s’engage très tôt pour la cause des personnes autistes, son frère ayant développé le syndrome d’Asperger. « La vie m’est tombée dessus beaucoup plus vite que je ne l’avais prévu » a un jour confié celui qui a abandonné ses études de journalisme et de français pour travailler auprès d’un sénateur influent.

Après cette entrée en politique, tout est allé très vite. Élu local à 22 ans, député à 24 ans – on le surnomme le « bébé du Dail », le parlement irlandais – il entre au gouvernement comme secrétaire d’État aux Finances en 2014, à l’âge de 27 ans. Au début de la pandémie, il est ministre de la Santé, ce qui vaut une retentissante gaffe quand il affirme que le Covid 19 est la 19e épidémie du genre, alors que le nombre faisait référence à l’année de son émergence… Il avait lui-même reconnu être parfois « un idiot »… Jusqu’à ces derniers jours, ce père de deux enfants et marié à une infirmière était ministre de l’Enseignement supérieur.

Les médias irlandais surnomment déjà Simon Harris le « TikTok Taoiseach ». L’homme fait depuis longtemps un intense usage des réseaux sociaux. Ses publications sur TikTok suscitent régulièrement plus d’un million de « likes », ce qui fait de lui une des personnalités les plus visibles du pays, chez les jeunes notamment. Ses détracteurs lui reprochent « d’en faire des tonnes ». Et l’appellent « Leo 2.0 », une façon de dire qu’il ne sera qu’une copie actualisée de son prédécesseur, jugé déconnecté des réalités du pays. D’origine indienne par le sang paternel, ouvertement homosexuel, Leo Varadkar voulait représenter une nouvelle génération de dirigeants irlandais, plus modernes et en phase avec une époque en mouvement. La très conservatrice société irlandaise a en effet légalisé le mariage pour tous en 2015, puis l’avortement en 2018. Mais si sa personnalité et son discours passent bien auprès de la classe moyenne urbaine, ils touchent moins les secteurs populaires et ruraux du pays.

Dans sa première intervention en tant que patron du Fine Gael, Simon Harris s’est attaché à désamorcer ces critiques en se disant proche des préoccupations quotidiennes des Irlandais. Tout en affirmant que la réunification irlandaise était une « aspiration politique légitime », il a déclaré que ce n’était pas sa « priorité ». Et ce mardi, après sa nomination, il s’est engagé « à travailler pour améliorer la vie de tous ». Les Irlandais sont davantage préoccupés par la crise du logement et l’immigration, d’ailleurs liées puisque l’accueil des migrants suscite la colère de ceux qui se battent pour avoir un toit. Depuis quelques mois, l’immigration en forte hausse est devenue le sujet politique majeur, suscitant réactions violentes et émeutes.

Pour le nouveau Taoiseach, le défi est lourd à relever. Le Fine Gael, qui gouverne en coalition avec le parti centriste Fianna Fáil et le parti des Verts, est à la peine dans les sondages alors qu’il n’était déjà arrivé qu’en troisième position en 2020. Et la débâche du dernier référendum a accentué l’impression d’un parti peu en phase avec la réalité. Pour Gary Murphy, professeur à la Dublin City University, « de nombreux Irlandais en ont assez du Fine Gael et pensent qu’il est au pouvoir depuis trop longtemps ». Simon Harris devra faire face aux ambitions du Sinn Fein, parti pro-unification et de sensibilité de gauche, qui a progressé au sein des classes populaires en se recentrant sur leurs préoccupations quotidiennes.

Ces derniers temps, le Sin Fein a toutefois montré lui aussi des signes d’essoufflement dans les sondages. Mais le parti de Mary Lou McDonald – ex-branche politique de l’IRA – entend bien capitaliser sur son arrivée au pouvoir en Irlande du Nord en février dernier, une première historique dans la province britannique.