Depuis le début du week-end dernier, Elon Musk enchaîne les répliques piquantes contre son nouvel adversaire, Alexandre de Moraes, un juge de la Cour suprême brésilienne. Ces attaques désormais quotidiennes ont lieu sur X (anciennement Twitter), le réseau social que le milliardaire possède depuis octobre 2022. Dans ses tweets, il qualifie notamment le magistrat de « dictateur du Brésil » qui tient « Lula en laisse ».
Alexandre de Moraes s’est attiré les foudres du patron de Tesla et Space X en imposant à la plateforme de fermer plusieurs comptes soupçonnés de diffuser de la désinformation, dans le cadre de son enquête sur la tentative de coup d’État de Jair Bolsonaro en 2023. Cette ordonnance visait majoritairement des sympathisants de l’ex-président brésilien d’extrême- droite. Dans ses nombreuses réponses, Elon Musk a décrit cette décision comme de la « censure » et a insinué qu’il la contesterait, affirmant qu’il allait « lever toutes les restrictions ». Il a également demandé la « démission ou la destitution » du juge.
Si ce dernier n’a pas réagi sur X, il a déclaré dimanche qu’il ordonnerait des amendes de 20.000 dollars par jour pour chaque compte réactivé. Le magistrat a aussi réclamé l’ouverture d’une enquête pour une présumée « instrumentalisation criminelle » de la plateforme. En réponse, Elon Musk s’en est à nouveau pris au juge lundi, lui demandant un débat, puis a plaisanté, en référence à un mème connu : « Dites-moi Alexandre, est-ce que la désinformation est dans la pièce avec nous maintenant ? » Il a ensuite ajouté : « La loi s’applique à tous, y compris à Alexandre. Il devrait être jugé pour ses crimes ». À la suite de cet épisode, le mot « Impeachment », utilisé pour parler de destitution, était lundi sur X parmi les «trending topics», soit les sujets les plus populaires sur l’application.
Elon Musk est connu pour son excentricité, et ses frasques ont souvent amusé, comme l’année dernière, lorsqu’il a demandé un combat de MMA, un sport de combat mélangeant différents arts martiaux, contre Mark Zuckerberg, le propriétaire de Meta. Le patron de Tesla vante aussi les bienfaits de la prise de kétamine, qui permettrait selon lui de lutter contre son «état d’esprit négatif». Mais les controverses de celui qui se présente souvent comme le défenseur de la liberté d’expression sur Internet semblent porter un coup à ses entreprises. Depuis son rachat de Twitter, la valeur de la plateforme subit une chute spectaculaire. Le réseau social a connu en un an une dévaluation de 71%, soit 12,5 milliards de dollars.
Le milliardaire exprime ouvertement ses opinions politiques. Auparavant démocrate, Elon Musk a dévoilé qu’il voterait pour Trump à l’élection présidentielle cette année. « Je pense que nous avons besoin d’une vague rouge [couleur associée aux Républicains] ou l’Amérique est foutue », a-t-il écrit fin mars. Avant ces attaques contre Alexandre de Moraes, le propriétaire de X s’était déjà aventuré sur le terrain politique brésilien, comme le montre une vidéo postée samedi par Jair Bolsonaro d’une rencontre avec lui. Dans la foulée, l’ancien président a appelé ses partisans à se rassembler à Rio de Janeiro le 21 avril. Certaines personnalités ultraconservatrices du Brésil ont défendu Elon Musk dans un manifeste et ont appelé comme lui à la destitution du magistrat.
Alexandre de Moraes est désormais bien connu de la population brésilienne. Longtemps considéré comme un homme de la droite dure par la gauche, qui l’a traité de «fasciste» et de «menteur», il est devenu la bête noire de Jair Bolsonaro. Issu de l’élite de São Paulo, le magistrat au crâne rasé a suivi un véritable cursus honorum dans les institutions du pays. Il a étudié à l’université de São Paulo, l’une des meilleures d’Amérique du Sud, puis a été nommé adjoint à la sécurité publique de l’État en 2015 avant de devenir ministre de la Justice. Il travaille actuellement dans plusieurs hautes instances, comme la Cour suprême et le Tribunal suprême électoral (TSE) qu’il préside. Ce tribunal a déclaré en juin 2023 Jair Bolsonaro inéligible pour la diffusion de fausses informations sur le système électoral brésilien.
Depuis le début de la controverse, plusieurs hauts fonctionnaires brésiliens ont pris la parole pour défendre le juge. « Nous ne pouvons pas vivre dans une société où des milliardaires qui vivent à l’étranger contrôlent les réseaux sociaux et se montrent disposés à violer l’État de droit, en désobéissant à des ordres judiciaires et en menaçant nos autorités », a écrit sur X Jorge Messias, l’Avocat général de l’Union, chargé de défendre les intérêts du gouvernement Lula. Le secrétaire à la Communication sociale Paulo Pimenta a lui déclaré : « Le Brésil n’est pas la jungle de l’impunité et notre souveraineté ne sera pas subordonnée au pouvoir des plateformes d’Internet ou au modèle économique des grandes technologies. »