À en croire les porte-parole du géant pétrolier américain ExxonMobil, la simultanéité des annonces de l’arrêt définitif d’une activité du groupe à Port-Jerôme-sur-Seine (Normandie) et de la cession de sa raffinerie de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) est un « hasard du calendrier ». Et les mêmes assurent que la compagnie ne se désengage pas de France. Pourtant, les deux décisions reposent sur des motifs similaires.

Tout d’abord, à Port-Jerôme-sur-Seine, à une trentaine de kilomètres du Havre, ExxonMobil Chemical France (EMCF) cesse ses activités liées à la production de plastique. Un vapocraqueur et des unités des unités de polyéthylène, de polypropylène, d’adhésifs vont être fermés cette année. « Depuis 2018, EMCF a perdu 500 millions d’euros », justifie le groupe. L’unité de vapocraquage date des années 1960. Avec sa capacité de 400.000 tonnes par an, elle n’est plus compétitive face aux méga-usines chinoises ou américaines les plus récentes, qui produisent de 1,2 million à 1,8 million de tonnes par an. En outre, le site français est pénalisé par des coûts de l’énergie sensiblement plus élevés qu’aux États-Unis. « Le site normand est coincé entre ces deux blocs », résume un porte-parole d’ExxonMobile pour justifier le choix.

Les conséquences de cette décision sur l’emploi sont lourdes : 677 emplois – dont 30 au siège en Île-de-France et 647 sur le site normand – vont être supprimés sur l’année 2025. Le groupe promet d’« engager des discussions avec les pouvoirs publics pour la revitalisation du bassin d’emplois et l’évaluation de nouvelles utilisations possibles des terrains qui seraient libérés ». Mais la décision est d’autant plus difficile à accepter par les parties prenantes que, l’année dernière, le groupe a engrangé 36 milliards de dollars de bénéfice. Il a aussi procédé au rachat du texan Pioneer Natural Ressources, pour 59,5 milliards de dollars (56 milliards d’euros).

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Les salariés concernés, sous le choc de cette annonce, devraient se voir proposer des solutions de reclassement en interne, des incitations au départ à la retraite (anticipée ou non), des mesures pour accompagner des reconversions professionnelles et des mesures de reclassement externe. Roland Lescure, le ministre de l’Industrie et de l’Énergie, l’entend bien ainsi : « Le groupe a une obligation absolue de proposer des perspectives de reclassement pour les salariés et de valorisation pour le site. »

Parmi les solutions de reclassement pourraient figurer des emplois sur la raffinerie Esso de Port-Jérôme-sur-Seine. Cette unité distincte va continuer à produire carburants, lubrifiants, huiles de base et bitumes. « Port-Jerôme est une zone assez dynamique. Nous n’en partons pas », insiste un porte-parole. Cette raffinerie emploie environ 1 000 personnes et dispose d’une capacité de production de 12 millions de tonnes par an.

À quelques centaines de kilomètres au sud, Esso France s’apprête à céder une autre unité, pour un montant qui n’a pas été communiqué. Il s’agit cette fois de la raffinerie de produits pétroliers Esso France de Fos-sur-mer et des terminaux de Toulouse et de Villette-de-Vienne, tous repris par Rhône Énergies, un consortium entre Entara et Trafigura. « Esso a procédé à une évaluation de son portefeuille d’actif et a trouvé un repreneur assurant le maintient des emplois et apportant des projets », explique un porte-parole d’Esso.

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Entara est un gestionnaire d’infrastructure de raffinage, présent notamment au Danemark. Trafigura, basé à Singapour, est un des leaders mondiaux de la fourniture d’énergie et de matière première ; l’année dernière, il a commercialisé 263 millions de tonnes de produits pétroliers et généré 7,4 milliards de dollars de résultat net. Ce dernier « devrait conclure un accord d’approvisionnement exclusif en pétrole brut et d’enlèvement pour un minimum de dix ans ». Il assurerait ainsi à la raffinerie de Fos un débouché commercial garanti. « Ce projet de cession s’inscrit dans le cadre de la stratégie à long terme d’Esso en France visant à maintenir la compétitivité de ses opérations, tout en garantissant la continuité de l’approvisionnement de ses clients dans le sud de la France », a commenté Charles Amyot, PDG d’Esso SAF.

De quoi rassurer, du moins en partie, les quelque 310 salariés concernés par la cession. D’autant qu’ils « seraient transférés dans la nouvelle entité Rhône Énergies ». Celle-ci s’engage en outre à réaliser des investissements « dans des projets de performance industrielle et de développement durable ». Plusieurs pistes se dessinent d’ores et déjà, pour améliorer la performance énergétique du site et/ou pour commencer à développer la production de biocarburants.

En effet, la cession de Fos-sur-mer est dotée d’une capacité de raffinage de produits pétroliers d’environ 7 millions de tonnes par an, 700 000 mètres cubes de stockage de brut et 1,1 million de mètres cubes de stockage de produits finis. Un dispositif important à l’échelle nationale. « La France dispose d’une capacité totale de 59,1 millions de tonnes par an », rappelle Olivier Gantois, président de l’Ufip Énergies et Mobilités. Capacités qui ne sont pas impactées par les annonces du jour.

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« La capacité de raffinage française n’est pas très éloignée de la demande nationale, tous produits pétroliers confondus, avec 65 millions de tonnes consommées en France l’année dernière », ajoute Olivier Gantois. Même si la tendance est à la baisse des capacités de raffinage sur le territoire français. La raffinerie de TotalEnergies à la Mède, convertie en 2019 aux biocarburants, produit 500 000 tonnes par an, contre 5 millions à 7 millions de tonnes de produits pétroliers raffinés auparavant. Celle de Grandpuits entrera en production en 2025, avec une capacité de 400 000 tonnes, contre un peu moins de 5 millions quand elle traitait des produits pétroliers.

En six ans, la France aura donc réduit ses capacités de raffinage de pétrole de près de 10 millions de tonnes. Un mouvement logique, qui accompagne la transformation du parc automobile national avec la montée en puissance des véhicules électriques. La demande en pétrole en France était de l’ordre de 40 millions de tonnes en 2023 pour le carburant routier, contre 41,3 millions de tonnes en 2019. « La tendance à la baisse va se poursuivre et s’accentuer », prédit Olivier Gantois, qui se refuse toutefois à tout pronostic sur l’avenir de la filière raffinage. « C’est une production qui s’exporte facilement par tanker, le jeu est très ouvert », ajoute-t-il.