La pratique de la lecture s’effondre chez les jeunes, alerte un rapport. C’est ainsi que les civilisations s’éteignent. C’est au Théâtre de Poche que la résistance s’organise. Dans ce lieu quasi clandestin situé au fond d’une impasse, à Montparnasse, il y a toujours de la lumière. Une atmosphère bohème, plus proche de l’univers d’Henry Murger que de celui des bobos d’aujourd’hui, imprègne l’atmosphère. La chaleur doit autant à la complicité du public qu’à l’exiguïté des salles.

Dans le hall, des affiches annoncent des spectacles autour de Chateaubriand, Racine ou Flaubert. Qui dit mieux ? 17 heures, 19 heures, 21 heures, les horaires sont souples. Maxime d’Aboville descend au sous-sol avec son jeune fils. L’acteur est venu applaudir le Mozart de Christophe Barbier. Voilà un père modèle. Le reste de la semaine, il joue Pauvre Bitos, d’Anouilh, au Théâtre Hébertot. Précipitez-vous. Vous ferez connaissance avec l’un des artisans de la Terreur, Robespierre. Par les temps qui courent, cela peut être utile.

Au grand Poche, Claire Chazal lit des textes d’écrivains qui lui sont chers. La représentation commence avec un quart d’heure de retard. C’est une manière de rester fidèle à l’esprit du génie des lieux, Philippe Tesson. L’ex-journaliste du Quotidien de Paris rend hommage à son fondateur. Avec lui, Paris était une fête. Smoking noir, tennis blanches, celle qui s’invita pendant vingt-quatre ans le week-end dans le salon des Français ouvre cinq livres de sa bibliothèque. Elle prévient en souriant : « C’est assez sombre. » La suite lui donne raison. Publié en 1942, Le Monde d’hier, de Stefan Zweig, fait tragiquement écho au sentiment de décadence qui flotte sur l’Europe. Dans L’Éducation européenne, Romain Gary laisse entendre la voix d’un jeune homme que son père cache dans la forêt polonaise pour échapper aux nazis.

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La lectrice glisse d’un point à l’autre de la scène. Un intermède musical sépare les morceaux. Son ton est sobre, sa lecture, claire. Au sommet de sa gloire, Ravel fume une Gauloise sur le pont du France : « Il avait le format d’un jockey. » La plume de Jean Echenoz est d’une élégance souriante. La plus que vive, de Christian Bobin, est poignante. « C’est la femme la plus lente que j’aie jamais connue », écrit l’auteur ; sauf pour mourir. Charlotte Delbo décrit « la plus grande gare du monde pour les arrivées et les départs » : Auschwitz. Sur la scène du Poche, le lundi, à 21 heures, les nouvelles ne sont peut-être pas plus réjouissantes qu’au journal de 20 heures ; mais au moins prend-on du plaisir à les écouter.

«Claire Chazal. Ma bibliothèque idéale», au Théâtre de Poche (Paris 6e), le lundi à 21 heures. www.theatredepoche-montparnasse.com