Petit pays a encore grandi : récit d’une enfance percutée par le génocide rwandais et la guerre au Burundi, le roman best-seller de Gaël Faye connaît une nouvelle vie dans une bande dessinée poignante, qui paraît vendredi.

Après avoir été portée à l’écran et sur les planches, c’est désormais dans les cases d’un roman graphique que la vie du jeune Gabriel, alter ego de l’auteur, se déploie. Son histoire pour ceux qui ne la connaissent pas encore est celle d’un garçon dans un Burundi au bord du précipice. En 1992, le pays des Grands Lacs s’apprête à basculer dans une sanglante guerre civile, tandis que le massacre des Tutsis se planifie au Rwanda voisin.

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Né de père français et de mère rwandaise, comme Faye lui-même, Gabriel grandit à Bujumbura, entouré par ce bruit de fond de haine qu’il ne s’explique pas et dont les adultes refusent de parler. «Les parents pensent souvent qu’en ne disant rien, on protège les enfants, mais c’est faux», dit Gaël Faye, rencontré avec ses deux coauteurs, Marzena Sowa (scénario) et Sylvain Savoia (dessin), dans les bureaux des éditions Dupuis.

Gaël Faye sait de quoi il parle. Comme son jeune héros, le romancier et chanteur a grandi en exil au Burundi dans ce qu’il appelle une «famille du silence». En 1995, à l’âge de 13 ans, il a dû fuir le pays, un an après le génocide des Tutsis qui fit 800.000 morts et dont le trentième anniversaire vient d’être commémoré à Kigali. «C’est un hasard du calendrier mais c’est une bonne chose. Cette histoire ne doit pas simplement être racontée par un discours politique mais aussi par la fiction, qu’on puisse y rentrer par une porte plus sensible», analyse l’écrivain, installé au Rwanda où il a écrit son prochain roman.

C’est d’ailleurs grâce à une œuvre de fiction, la pièce Rwanda 94 qu’il a vue en 2000, que Gaël Faye a «compris le génocide». «En sortant de là, tout m’est apparu. J’avais compris l’histoire de ma famille, pourquoi ils s’étaient exilés», raconte-t-il. Cette pièce du collectif belge Groupov a aussi forgé sa conviction que le récit autour des ethnies tutsi et hutu relevait de «thèses racistes du XIXe siècle». «La connaissance de notre histoire nous a été retirée», soutient-il.

Adapter en BD un récit aussi personnel n’a pas été une mince affaire. La Franco-Polonaise Marzena Sowa y a consacré un an et demi, relisant «au moins vingt fois» le roman, y compris dans sa traduction polonaise, pour en «décortiquer» chaque passage et choisir ceux dont elle devra se passer pour construire un récit graphique. «C’était très intimidant», confie-t-elle, avant d’ajouter qu’elle a été aidée par sa propre histoire. Née en Pologne en 1979, derrière le Rideau de fer, elle grandit en pleine montée du syndicat Solidarnosc et de la contestation anti-soviétique. Elle aussi a connu les silences et une vie familiale troublée par la politique, qu’elle a d’ailleurs chroniquée dans le roman graphique Marzi. «Tout ça, je l’ai ressenti en lisant Petit pays, même si c’est une autre culture, un autre pays. Il y a cette universalité», confie l’adaptatrice.

La tâche du dessinateur n’a pas été plus aisée. Si la BD se concentre sur la vie parfois insouciante de Gabriel, Sylvain Savoia a consacré quelques planches glaçantes aux massacres au Rwanda et au Burundi, pour «faire ressentir la terreur qui surgit dans le quotidien». «C’est la grande question qui s’est posée à moi: comment représenter ce qui est insupportable?», se remémore-t-il. Faire l’impasse aurait été, pour lui, impensable. «On est obligé de le montrer pour ne pas donner du grain à moudre aux négationnistes.»

De fait, trente ans après, la mémoire du génocide reste à vif, notamment en France où le rôle du pays au moment des massacres fait l’objet d’un examen de conscience émaillé d’imbroglios. Dernier exemple en date, la présidence française a fait circuler une déclaration selon laquelle Paris «aurait pu arrêter le génocide» mais Emmanuel Macron a refusé ensuite de l’endosser. «Cette histoire continue et ne s’arrêtera pas de sitôt», prédit Gaël Faye, relevant que beaucoup d’acteurs du génocide sont encore vivants. «Tout le monde marche sur des œufs».