Une bande dessinée de l’historienne Emmanuelle Polak (éditions du Louvre), un podcast à succès sur France Culture, une pièce de théâtre, une biographie de Jennifer Lesieur, et depuis ce vendredi 12 avril, le baptême d’une terrasse devant le Jeu de Paume de Paris : la figure de Rose Valland, résistante ayant joué un rôle clé dans la sauvegarde et la récupération de biens culturels spoliés sous l’Occupation, n’a jamais été aussi populaire.

Très reconnue dans l’immédiat après-guerre, au point d’avoir été faite officier de la légion d’Honneur, d’obtenir la médaille de la Résistance française ou d’être élevée au grade de commandeur des Arts et Lettres, cette femme discrète avait ensuite fini par tomber dans un relatif oubli, avant de susciter un regain d’intérêt il y a une quinzaine d’années.

Son histoire, qu’elle a racontée en 1961 dans Le front de l’art (réédité en 1997 et 2014) est en effet singulière, sinon édifiante. Son action a permis de faire avancer de manière considérable la question des restitutions d’œuvres d’art pillée par les nazis. «La bravoure de Rose Valland, et son engagement total au service de la protection de notre patrimoine culturel face au plus grand péril, commande, plus que jamais, notre profond respect et notre admiration. Cette héroïne de l’ombre est, pour chacun de nous, une figure d’exemple» a estimé Laurence Des Cars, présidente du Louvre, juste avant le dévoilement de la plaque de commémoration, par la ministre de la Culture, Rachida Dati.

Dès l’été des 1940, débute une vaste opération de confiscation des bibliothèques et œuvres d’art des ennemis du Reich, et plus particulièrement des familles, galeries et collectionneurs juifs. Il faut trouver un lieu pour entreposer les vols qui sont massifs. Le Jeu de Paume et le Louvre serviront d’entrepôts et de séquestre. Rose Valland y est alors attachée de conservation, à titre bénévole, et le sera durant toute l’Occupation. Dans l’ombre, elle observe les ballets d’œuvres (dont les 200 collections appartenant à des collectionneurs juifs, comme les Rothschild ou les David Weil), ainsi que les visites des dignitaires nazis, à commencer par Hermann Goering.

Dans des carnets, et au péril de sa vie, elle dresse des registres clandestins, ainsi que les relevés des départs des caisses. Nom des victimes spoliées, nombre d’œuvres, destinations, nom des agents chargés des transferts et des transporteurs, marques sur les caisses, numéros et dates des convois, dimensions des œuvres, elle consigne tout… Ses fiches sont aussi détaillées et précises possibles. Elle va jusqu’à déchiffrer des papiers carbone jetés dans les poubelles du musée. En juillet 1943, Rose Valland assiste, cachée, à l’autodafé d’art dit «dégénéré», organisé devant le Jeu de Paume, et tâche de prendre note des chefs-d’œuvre qui partent en fumée. La nouvelle terrasse Rose Valland est d’ailleurs située à l’endroit précis où 600 tableaux, dont certains de Picasso, Chagall ou Otto Dix, furent détruits.

Espionnant les conversations, elle fournit des informations à la résistance sur les trains qui transportent les œuvres, afin que ces convois soient épargnés. À l’automne 1944, elle communique aux Alliés les noms des dépôts allemands et autrichiens (Altaussee, Neuschwanstein…)afin d’éviter qu’ils ne les bombardent. Au moment de la Libération de Paris, elle monte la garde au musée, et doit même convaincre certains qu’elle n’est pas une collabo.

Dès 1945, elle est envoyée dans l’armée française, auprès du général Lattre de Tassigny, en Allemagne. On estime que près de 100.000 œuvres ont été volées, et se trouvent en Allemagne et en Autriche, notamment dans les anciennes mines de sel. Sa mission consiste à mener des enquêtes pour identifier tableaux, tapisseries ou sculptures pillés, et tâcher de les faire rentrer en France. À l’aide de ses carnets, elle travaille avec ceux que l’on a appelés les «Monuments men», un corps d’engagés dédié à la «sauvegarde de l’art, des monuments et des archives», répartis dans les armées alliées.

En 2014, un film de George Clooney, a raconté l’épopée de ces engagés, et mis Rose Valland sous les traits de l’actrice Cate Blanchett. Très romancé, le film met en exergue la relation passionnée entre Valland et un monument men, alors que la conservatrice ne cachait pas son homosexualité et se faisait appeler «mademoiselle». L’actrice Suzanne Flon, dans le film de John Frankenheimer, Le Train (1964) , était bien plus vraisemblable.

Quoi qu’il en soit, 61.233 œuvres vont être retrouvées en Allemagne et en Autriche, et rapatriées en France. Rose Valland rapportera également d’Allemagne le précieux catalogue de la collection d’œuvres d’art d’Hermann Göring , contenant la liste des 1 376 œuvres qu’il a achetée ou pillé entre avril 1931 et novembre 1943.

Après huit ans en Allemagne, la conservatrice aux lunettes rondes et au chignon immuable va poursuivre sa tâche, cette fois-ci au service des demandes de restitutions. À partir de 1945, des milliers de propriétaires spoliés, principalement des juifs, vont déposer des dossiers pour tenter de récupérer leurs biens.

On doit à Rose Valland, dès 1947, un répertoire des biens spoliés, qui recense 2 300 dossiers, avec des photos. Il s’avère crucial, jusqu’à ce jour, pour identifier les œuvres volées et permettre des recherches. Par le travail de la commission de récupération artistique, et grâce aux listes savamment éditées par Valland, 45.441 biens ont été remis à leurs propriétaires entre 1945 et 1956, 13.000 seront vendus et 2 000 déposés dans des musées nationaux (le temps de trouver à qui ils appartiennent). Le concours de celle que l’on surnommait «Capitaine Beaux-arts» aura permis de tourner plusieurs pages du livre noir des spoliations. Vendredi 12 mars, Éric de Rothschild, dont la famille a été entièrement spoliée sous l’Occupation, était d’ailleurs là, reconnaissant. «J’aimerais proposer aux Tuileries de planter la variété de roses, dénommée Rose Valland en hommage à la résistante» disait-il en marge de la cérémonie.

Rose Valland meurt à 81 ans, dans une maison de repos d’île de France. Elle est inhumée avec sa compagne, la britannique Joyce Heer, dans le caveau familial de son village natal de l’Isère, Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs (38). C’est dans ce même village que l’association «La mémoire de Rose Valland», tenue par Jacqueline Barthalay, également présente le 12 mars, et la petite-cousine de Rose, Christine Vernay, veillent à sa postérité. Quant au Louvre, il estime que le travail entamé par Rose Valland est loin d’être achevé. Outre les 2 000 œuvres issues de la « Récupération Artistique » qui y sont conservées depuis l’après-guerre, en attente de leur propriétaire, ce sont, «sans doute, encore bien d’autres qui, issues des spoliations nazies mais arrivées dans nos collections plus tardivement et par d’autres canaux, demandent à être identifiées pour être restituées» a expliqué Laurence des Cars. En célébrant Rose Valland, «nous voulons redire combien notre engagement est total en la matière pour qu’aucune tâche ne demeure dans les collections nationales», a-t-elle conclu.