C’est une «fake news» comme il en prolifère quotidiennement sur les réseaux sociaux. Sauf que celle-ci a nécessité l’intervention directe du ministre des Affaires étrangères. Dimanche 14 avril, au lendemain de l’attaque iranienne sur Israël, le chef de la diplomatie française Stéphane Séjourné a annoncé la convocation de l’ambassadeur d’Iran en France pour faire «passer un message de fermeté». Rapidement, certains comptes influents ont assuré qu’il n’y avait pas d’ambassadeur d’Iran en France, accusant donc le ministre de méconnaître ses dossiers.
Cette «information» s’est évidemment répandue comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux, reprise allègrement et sans vérification aucune par de nombreux internautes. Si bien que Stéphane Séjourné a été contraint de se fendre d’une série de tweets sur X, lundi 15 avril, pour répondre à la viralité de cette «fake news» et dénoncer «une manipulation». «Il y a bien un ambassadeur d’Iran à Paris : Monsieur Amin-Nejad, convoqué aujourd’hui au ministère», a assuré le ministre, accusant ceux qui diffusent cette «fake news» d’avoir «un agenda qui est celui de puissances étrangères».
La première mèche a été allumée par Caroline Galactéros, ancienne conseillère diplomatique d’Éric Zemmour et présidente de Geopragma, un groupe de réflexion qui revendique une approche «réaliste» de la géopolitique. «Quelqu’un a-t-il prévenu notre ministre qu’il n’y a plus, depuis déjà quelques années, d’ambassadeur d’Iran en France ?» a-t-elle écrit sur X dimanche soir. Ce message, vu plus de 2,5 millions de fois, a fait des émules. Il a été immédiatement repris par Florian Philippot, président des Patriotes et ancien du Front National devenu figure des sphères complotistes pour son opposition aux vaccins contre le Covid-19 et ses velléités de «Frexit».
À lire aussiMinistre, chef de parti, candidat… Stéphane Séjourné, trois casquettes pour un seul homme
L’avocat Régis de Castelnau, connu autant pour ses positions conspirationnistes lors de la crise du Covid que pour ses postures pro-Russes vis-à-vis de la guerre en Ukraine, a lui aussi réagi rapidement. «Lui il est super fort. Il convoque un ambassadeur qui n’existe pas», a-t-il raillé, accusant le ministre de ne pas «vérifier avant d’aller parader sur les plateaux».
Sauf que l’Iran a bien envoyé, certes récemment, un ambassadeur en France. La république islamique a proposé le nom de Mohammad Amin-Nejad à l’automne, et la France l’a accepté le 7 février, indique l’entourage du ministre au Figaro. «Le 18 mars, l’ambassadeur est arrivé au Quai d’Orsay et a remis les copies figurées des lettres de créance, qui lui permettent d’exercer ses fonctions», ajoute-t-on. Depuis 2021, la fonction était assurée par un simple chargé d’affaires. Sur le site de l’ambassade d’Iran en France, ce changement n’est pas encore indiqué. Ce retard de communication a pu induire certains en erreur.
Caroline Galactéros s’est d’ailleurs rapidement rendu compte de son erreur. À la lecture des messages de Stéphane Séjourné, celle qui plaide régulièrement pour l’instauration d’un «dialogue équilibré» avec Téhéran a fait amende honorable. «Je me suis juste trompée de quelques semaines et ai fait immédiatement un rectificatif que je demande à mes abonnés de relayer», a-t-elle écrit. «Je suis vraiment confuse d’avoir malencontreusement contribué à relayer cette fausse information», a-t-elle ajouté, sans toutefois supprimer son tweet initial. Tout comme Florian Philippot, qui a retweeté le rectificatif de Caroline Galactéros, sans effacer son message.
À lire aussiRenaud Girard: «Reprendre une grande négociation avec l’Iran»
Régis de Castelnau, lui, persiste et signe. «Le futur ambassadeur d’Iran n’a pas encore pris ses fonctions», assure-t-il. «Ce sera le cas par la remise de ses lettres de créances au chef de l’État, et d’ici là, le chargé d’affaires représente la République d’Iran». Si le diplomate a remis les copies figurées des lettres de créance au chef du protocole de la République française, il ne les a en effet pas encore remises à Emmanuel Macron.
«Mais ça ne change rien», balaye l’entourage du ministre. Cette cérémonie est purement formelle et l’ambassadeur est officiellement entré en fonctions le 18 mars, assure-t-on. L’article 13 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques est parfaitement clair sur le sujet : «Le chef de mission est réputé avoir assumé ses fonctions dans l’État accréditaire dès qu’il a présenté ses lettres de créance ou dès qu’il a notifié son arrivée et qu’une copie figurée de ses lettres de créance a été présentée». En outre, «l’Iran a bien envoyé Mohammad Amin-Nejad à la convocation au Quai d’Orsay, ce qui signifie qu’elle le considère de fait comme son ambassadeur», souligne l’entourage du ministre.
L’affaire aurait pu s’arrêter ici. Mais dans son rectificatif, Stéphane Séjourné a formulé une attaque forte et inédite contre ses détracteurs, qu’il a accusés de suivre «un agenda qui est celui de puissances étrangères» en créant «la confusion, le doute», et en portant «atteinte au débat démocratique». «Soit ces personnes sont persuadées d’être mieux informées que le ministère, soit il y a un agenda», précise le Quai d’Orsay. Dans le premier cas, «l’effet de Dunning-Kruger» joue à plein, selon Thomas Huchon, spécialiste des réseaux sociaux et de la désinformation*. Ce mécanisme cognitif consiste à avoir l’impression de maîtriser un sujet auquel on s’intéresse depuis peu. Il «crée l’illusion chez ces personnes qu’ils ont une légitimité pour parler», souligne le spécialiste.
À lire aussiLa Russie mise-t-elle sur la «diplomatie d’influence»?
Concernant «l’agenda de puissances étrangères», Stéphane Séjourné n’accuse pas directement ses détracteurs d’être des agents à la solde d’une puissance extérieure. Mais ces dernières années, grâce aux réseaux sociaux, les ennemis de la France, et notamment la Russie, ont développé «un système qui consiste à repérer des points de clivage dans la société française et à appuyer dessus avec l’aide, souvent involontaire, d’idiots utiles», souligne Thomas Huchon. «En voulant démontrer en permanence que la diplomatie française est faible, ils font bien le jeu d’une stratégie de puissances étrangères», confirme-t-on dans l’entourage du ministre.
Régis de Castelnau, comme Florian Phillipot, utilisent d’ailleurs essentiellement les réseaux sociaux pour dénigrer la France et délégitimer toute parole officielle. Dernier exemple en date : apprenant le 13 avril que la frégate Alsace était rentrée au port après une longue mission en mer Rouge, l’avocat a accusé la France de «battre en retraite» face aux Houthis. Alors que le navire a simplement été remplacé par une autre frégate, dans le cadre d’une rotation classique. «Le vrai problème de ces gens, c’est qu’ils s’informent majoritairement sur Internet, où règne la désinformation», explique Thomas Huchon. «Ils sont potentiellement sincères dans leur démarche, mais sont manipulés par ce à quoi ils sont confrontés».
*Thomas Huchon a récemment créé un compte sur les réseaux sociaux, baptisé «Anti fake-news AI», pour lutter contre les fake news grâce à l’intelligence artificielle