Correspondant à Londres
Un Britannique ayant 15 ans aujourd’hui ne pourra jamais légalement se procurer des cigarettes. C’est l’objectif du gouvernement conservateur, qui entend faire du pays un royaume sans tabac. Le projet de loi, imposant des règles anti-tabac parmi les plus strictes au monde, a passé sa première étape parlementaire mardi soir. Avec cette offensive sur le front de la santé publique, le premier ministre Rishi Sunak espère redorer son blason alors qu’il est à la peine dans les sondages avant les élections de l’automne.
L’idée est d’étendre progressivement l’interdiction de la vente de cigarettes, en augmentant l’âge légal d’un an chaque année. Il est actuellement de 18 ans. Downing Street estime que cette loi pourrait permettre « d’éliminer presque complètement le tabagisme chez les jeunes dès 2040 ». Les enfants nés depuis 2009 ne pourront plus acheter légalement du tabac. Les chiffres officiels montrent que quatre fumeurs sur cinq ont commencé avant l’âge de 20 ans. Et que la plupart d’entre eux restent dépendants toute leur vie. « Trop de gens connaissent quelqu’un dont la vie a été tragiquement interrompue ou irréversiblement changée à cause du tabagisme » a déclaré la ministre de la Santé Victoria Atkins.
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Le projet de loi a été adopté mardi soir à la Chambre des Communes par 383 voix pour et 67 contre, et va maintenant passer à l’étape suivante où il pourra faire l’objet d’amendements. Rishi Sunak a pu compter sur les votes de l’opposition travailliste mais des dizaines de ses députés ont voté contre, une nouvelle rébellion fâcheuse pour le premier ministre. La ministre chargée des relations avec le Parlement, Penny Mordaunt, s’est abstenue avec 105 autres conservateurs. Les députés ont bénéficié d’un vote dit « libre », ce qui signifie qu’ils n’ont pas eu à voter en fonction de la ligne de leur parti.
Certains membres du parti conservateur s’insurgent contre une atteinte à la liberté individuelle, estimant que l’État n’a pas à s’immiscer dans la manière dont les gens mènent leur vie. L’éphémère premier ministre Liz Truss a ainsi estimé que le projet de loi était « anti-conservateur ». « Nous sommes un pays libre, a déclaré celle qui avait dû céder la place à Rishi Sunak, nous ne devrions pas être ceux qui disent aux gens de ne pas fumer ». Boris Johnson, lui, a estimé qu’il était « fou » que le parti de Winston Churchill veuille interdire les cigares dont l’ancien dirigeant conservateur était un grand amateur. Au sein même du gouvernement, la ministre des Entreprises Kemi Badenoch, tout en se disant en accord avec les intentions du premier ministre, s’est opposée au projet de loi. Elle s’est dite préoccupée par son impact sur les libertés individuelles et par sa difficulté d’application. Une loi similaire votée en Nouvelle-Zélande a finalement été supprimée cette année par le nouveau gouvernement de coalition avant qu’elle n’entre en vigueur.
Pour Rishi Sunak, il s’agit de s’attaquer à « la plus grande menace pour la santé publique ». Selon le gouvernement, le tabagisme est la principale cause de mortalité « évitable » au Royaume-Uni et est responsable d’environ 80.000 décès par an. Par ailleurs, il coûterait au service de santé public (NHS) et à l’économie environ 20 milliards de livres par an. Selon les estimations de l’Office for National Statistics (ONS), près de 6,4 millions de personnes fument au Royaume-Uni, soit environ 13 % de la population adulte. Un chiffre inférieur à celui d’autres pays européens comme la France, l’Allemagne ou l’Italie, où de 18 à 23 % des adultes fument selon les chiffres de l’OCDE.
Le projet de loi est soutenu par les médecins et les experts de la santé ainsi que les organisations caritatives. Selon un sondage, cette croisade anti-tabac serait aussi populaire chez les Britanniques, un tiers des électeurs soutenant l’approche progressive du projet de loi, 30 % étant favorables à une interdiction pour tous en même temps et seul un quart estimant qu’il ne devrait pas y avoir d’interdiction. En revanche, les fabricants de tabac – dont les cours sont chahutés par le projet de loi – le critiquent vertement, estimant qu’une telle disposition risque de doper le marché noir et qu’il sera difficile de la faire respecter.
Le texte entend aussi lutter contre le vapotage chez les jeunes. Il pose ainsi des restrictions sur les arômes et la façon dont les produits sont présentés, afin de les rendre moins attrayants. Les « puffs » au goût de fruits vendus dans de petits tubes de couleur rencontrent un succès croissant chez les jeunes. Pour lutter contre cet essor, Rishi Sunak a annoncé au début de l’année l’interdiction prochaine de ces cigarettes électroniques jetables.