Sa nomination à la Culture avait surpris et, cent jours après, Rachida Dati veut continuer d’étonner. Entre œillades au hip-hop et ode à la «ruralité», la ministre assume le grand écart pour sortir de «l’entre-soi» et lance une périlleuse réforme de l’audiovisuel public.

Dans l’émission de Skyrock Planète rap comme à la Cité de l’accordéon qu’elle a inaugurée en Corrèze, l’ex-garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy martèle un même credo: la culture pour tous. «Tous les Français (…) peuvent être des acteurs culturels», déclarait-elle fin janvier. Tous ceux qui l’ont précédée rue de Valois ont nourri la même ambition mais Rachida Dati assure que sa combativité fera la différence. «Chacun sait que j’aime me battre», a-t-elle lancé en prenant ses fonctions le 12 janvier, d’abord «interloquée» qu’Emmanuel Macron lui ait proposé le poste.

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Tombée en disgrâce à l’Élysée, sa prédécesseure Rima Abdul Malak avait été débarquée pour faire place à ce visage familier de la politique et des plateaux télé, ex-magistrate devenue maire du très chic VIIe arrondissement de Paris après avoir grandi dans une cité HLM. «Là où elle est très forte, c’est sur le côté méritocratie. Elle n’a pas besoin d’en parler, elle l’incarne», disait un ministre début février. L’édile parisienne a d’abord été là où on ne l’attendait pas en lançant le «printemps de la ruralité», une concertation nationale pour «désenclaver» l’offre culturelle. «Cela a fait sourire tous ceux qui m’imaginaient ne pas franchir le périphérique», a-t-elle glissé.

Par petites touches, la ministre a creusé ce sillon anti-élitiste, promettant des bibliothèques dans les HLM ou l’élargissement du Pass culture et donnant des gages au hip-hop. «Vous êtes la culture populaire», a-t-elle lancé dans le DVM show, émission sur Twitch prisée des rappeurs. Parallèlement, elle planifie un hommage au compositeur Pierre Boulez en 2025.

«Elle est là pour faire bouger les lignes et elle le fait», salue auprès de l’AFP Laurent Lafon, président centriste de la commission culture du Sénat. D’autres sont plus réservés. «C’est de la com’, pas de la culture. La com’, c’est de l’instantané ; la culture, c’est de la profondeur, l’appel à l’ouverture de l’esprit», dit à l’AFP Laure Adler, ex-patronne de France Culture et figure de gauche, qui reconnaît à la ministre «une capacité à n’avoir peur de rien».

Son activisme n’a toutefois pas permis de sanctuariser le budget de la Culture, amputé de 204 millions d’euros dans le cadre du plan d’économies gouvernemental de 10 milliards et après plusieurs années de hausse. Pour amortir le choc, Rachida Dati a puisé dans les réserves du ministère et assure qu’«aucune programmation» ne devrait être «remise en cause». Mais le secteur, déjà fragilisé par l’inflation, est sur les dents. «La situation est catastrophique», affirme à l’AFP Nicolas Dubourg, du syndicat des entreprises du spectacle vivant Syndeac. «Tout diminue: le nombre de levers de rideau, l’argent investi dans les productions et le nombre d’heures travaillées. Le secteur se rétrécit». «Au lieu de prendre ces problèmes à bras-le-corps, la ministre égrène des évidences sur la politique culturelle qui produit de l’entre-soi. C’est de la gesticulation», tacle Jean-François Marguerin, administrateur au ministère de la Culture du temps de Jack Lang.

Rachida Dati a ouvert un autre front brûlant en annonçant un projet de regroupement de France Télévisions et Radio France sous une «gouvernance unique». Ses cinq prédécesseurs ont balayé l’idée, Laure Adler évoque une «catastrophe», mais le sénateur Laurent Lafon salue une avancée «très rapide».

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Rien ne sera toutefois acquis pour la ministre au Parlement, où son ancien parti LR ne devrait pas lui faire de cadeau. Récemment, l’hostilité de la droite l’a conduite à reporter l’examen du projet de loi permettant la restitution des biens spoliés pendant la colonisation, un autre chantier en cours pour celle qui a également fâché le monde de l’édition en expérimentant la publicité télévisée pour les livres.

Classée parmi les ministres les plus populaires, Rachida Dati garde aussi un œil sur son avenir personnel. Peu après sa nomination, elle a confirmé son intention de briguer la mairie de Paris en 2026, faisant naître des interrogations sur la durée de son bail ministériel. Plane également sur son agenda sa mise en examen pour corruption passive dans l’affaire Renault-Nissan. «La question, ce n’est pas “est-ce que les 100 premiers jours ont été bons?” mais “est-ce que les 100 prochains le seront”?», estime Nicolas Dubourg.