«Je suis une millennial et hier, j’ai vu une vidéo qui décrivait les choses que la GenZ trouve dépassées dans ma génération….Comment vous dire que je me suis sentie vieille.» Auriane Lavaux, la trentaine, fait mine d’être désespérée en entamant sa vidéo de maquillage sur TikTok. Elle est donc considérée, à son grand désarroi, comme faisant partie de la génération Y, qui englobe les personnes nées entre 1980 et 1996. Depuis plusieurs mois, elles sont devenues un objet de moquerie pour la GenZ, la génération née juste après, entre 1997 et les années 2010.
Ces derniers imitent leurs aînés dans des vidéos TikTok virales où ils apparaissent vêtus de jean moulant et dansent sur le titre Turn Down for What, sorti en 2013. Lequel servaient le plus souvent lors des flashs mob, ces rassemblements diffusés sur Internet dans les années 2000 où les personnes se mettaient soudainement à faire une action inattendue en public.
Auriane raconte, quant à elle, avoir découvert sur TikTok que les plus jeunes estiment « que les gifs et les mèmes sont dépassés.» Mais, pour la jeune femme, le coup de massue arrive avec une autre information. «Je ne comprends pas…. Ils veulent faire revenir les jeans taille basse alors que ça n’est pas confortable», s’indigne-t-elle en s’appliquant son mascara.
Auriane est loin d’être la seule à s’intéresser à ce que la GenZ pense d’elle et de sa tranche d’âge. De façon générale, le sujet des générations passionne sur le réseau social chinois. Ces trente derniers jours, les vidéos comportant les mots «GenZ», «millennials», «boomer» (les personnes nées entre 1947 et les années 60) et «GenX» (les personnes nées entre 1965 et 1981), totalisent 37 millions de mentions «j’aime», rapporte la plateforme de veille du web Visibrain.
«Sur TikTok, les personnes aiment bien raconter leurs anecdotes du quotidien», confirme la tiktokeuse Adeline du compte unamourdechef. La millennial, comme elle aime à se surnommer, a découvert grâce à ces contenus ce que pense la GenZ du monde du travail. « Moi comme d’autres, on avait la sensation d’être les aînés qui ont eu à respecter toutes les règles, devant les petits derniers qui, eux, racontent face caméra leurs besoins d’avoir une vie privée en dehors du travail». La vidéaste décide toutefois d’aller plus loin et d’interroger ses jeunes abonnés sur ce qui leur déplaît chez certains codes du monde de l’entreprise.
Des discussions qui donnent lieu à vidéos humoristiques, où la jeune femme ironise sur sa propre génération. «Je suis choquée, la GenZ quand elle est malade… Elle pose un arrêt maladie», entame-t-elle, l’air éberlué, dans une des publications les plus vues de son compte. Une vidéo qui lui permet d’ouvrir, dans la section commentaires, les discussions entre générations. «Des employeurs ont expliqué mieux comprendre la vision du travail des plus jeunes et, parmi ces mêmes jeunes, certains se sont défendus en disant ne pas se reconnaître dans ce qu’on dépeint de leur génération», reprend Adeline. «Ça permet de dépasser les clichés chez chacun finalement». Toujours selon la plateforme de veille Visibrain, le seul hashtag GenZ a généré 1,4 million de publications depuis sa création.
Au sein des familles, on se partage aussi ce type de vidéos entre parents et enfants, qu’ils soient encore à la maison… ou loin du nid. Les réseaux sociaux permettent en effet de maintenir une forme de lien. À l’instar de Véronique 63 ans et sa fille Alice*, 24 ans, qui lui a créé un compte sur TikTok il y a deux ans. «Souvent, on s’envoie des vidéos drôles qu’on découvre sur TikTok, comme des extraits de spectacles d’humoristes ou de courtes publications de chutes drôles», détaille Véronique. «Ça devient un moment le soir où on échange via des références communes et puis, pour moi, ça me permet de me vider la tête», confie-t-elle, amusée.
Cette façon de communiquer ne surprend pas la chercheuse Anne Cordier, professeure des universités en science de l’information et de la communication. « Il faut arrêter avec ce discours de la rupture générationnelle sur les réseaux sociaux. Les parents d’aujourd’hui ont 40 ans ou 50 ans, bien sûr qu’ils sont sur les mêmes espaces que leurs enfants», souligne-t-elle. « Au moment du confinement, les générations de parents et de grands-parents ont pris la mesure de l’épaisseur sociale des vidéos TikTok», poursuit la professeure. «De façon générale, ils ont compris l’outil que représentent les réseaux sociaux pour maintenir le lien social».
D’après Anne Cordier, c’est Instagram (détenu par le groupe Meta) qui serait le plus utilisé par l’ensemble de ces générations. Avec 2 milliards d’utilisateurs actifs mensuels, on y retrouve aussi bien la GenZ, «qui poste peu mais partage des publications éphémères avec la fonction story», constate Anne Cordier, mais aussi leurs parents et grands-parents. «Les familles suivent des comptes en commun et elles voient des vidéos similaires sur le nouveau fil ’’découvertes’’ d’Instagram», complète-t-elle. «Elles partagent ainsi un lieu commun sur le numérique.»
Antoine, 28 ans, en sait quelque chose. Instagram est devenu le point de départ des potins avec ses parents et, surtout, avec sa mère. «Si je poste une story, elle va forcément y répondre», décrit-il. Cette dernière s’est créé un compte peu avant le confinement. Elle est depuis devenue une fervente utilisatrice de ce réseau social. «Elle a carrément ajouté mes propres amis, qui ont trouvé ça drôle», témoigne le jeune homme. «Parfois, c’est même elle qui me dit au téléphone ce que tel ami est allé voir en concert récemment, ou dans quel pays il s’est rendu», s’amuse-t-il. «Et c’est ma mère qui publie le plus de photos, surtout de ses vacances avec mon père. Moi je ne publie presque jamais rien».
Un point qui interpelle Anne Cordier. «Dans ces nouvelles formes de communication, on pose souvent la question de ce que les enfants dévoilent à leurs parents sur les réseaux, mais très peu de ce que les parents donnent à voir à leurs enfants», souligne la spécialiste en communication. «Pourtant, cela vaudrait le coup de s’interroger sur ce qu’on leur laisse à voir sur les réseaux sociaux», conclut-elle, pensive.