Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, deux noms qui résonnent, près de cent ans après leur mort, comme l’erreur judiciaire la plus marquante du XXe siècle. L’affaire des deux anarchistes italiens, exécutés le 23 août 1927 aux États-Unis, après une scabreuse procédure judiciaire de sept années, sur fond de racisme et d’inquiétude de montée du communisme, interroge toujours.

En Italie, aujourd’hui un autre combat se joue. Giovanni Vanzetti, 86 ans, neveu de Bartolomeo, s’attelle depuis des années à récupérer les restes des cendres de son oncle passé par la chaise électrique, nous apprend un article du Corriere della Sera relayé dans le dernier numéro de Courrier international. En décembre dernier, l’héritier a en effet adressé une longue lettre aux autorités américaines demandant la livraison de l’urne contenant la moitié des cendres de son oncle.

À la mort de Sacco et Vanzetti, les cendres furent divisées en deux parties : la moitié fut confiée à Luigina Vanzetti, la sœur de Bartolomeo, qui les ramena en Italie, en veillant à ce que les restes reposent dans les cimetières de leurs villes d’origine respectives, Villafalletto pour Vanzetti dans le Piémont et Torremaggiore pour Sacco dans les Pouilles. L’autre moitié était destinée à un mausolée censé être construit pour honorer la mémoire de Sacco et Vanzetti, rappelle le quotidien transalpin, mais finira entre les murs de la bibliothèque municipale de Boston.

Dans sa missive, le neveu de Vanzetti, s’est présenté «en sa qualité de membre de la famille et héritier direct de Bartolomeo Vanzetti» et prie les autorités américaines «d’organiser le retour de l’urne à l’endroit où elle devrait être, c’est-à-dire le cimetière de Villafalletto, à côté de l’autre urne contenant la moitié des cendres, présente sur les lieux depuis octobre 1927».

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L’affaire Sacco et Vanzetti commence en décembre 1919, à Bridgewater, et se poursuit en avril 1920, à South Braintree. Dans ces deux villes du Massachussets des braquages à main armée ont lieu, dont le second se solde par la mort de deux hommes. Le 5 mai 1920, deux Italiens sont interpellés par la police. Ils sont armés. Il s’agit de Nicola Sacco, 29 ans, cordonnier, et de Bartolomeo Vanzetti, 32 ans, vendeur de poisson ambulant. La police ne tarde pas à faire le lien entre ces individus dit «douteux» («suspicious characters») et les attaques non élucidées. Immigrés, pauvres et anarchistes, dans l’Amérique des années 1920 en proie à la xénophobie et à un fort sentiment anti-révolutionnaire, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti avaient tout pour être des coupables tout désignés.

En juillet 1921, le juge Webster Thayer qui n’aime ni les Italiens, ni les anarchistes le voit aussi ainsi, même si des comités de soutien se mobilisent alors un peu partout dans le monde. Six ans plus tard, le 9 avril 1927, Sacco et Vanzetti sont condamnés à la peine capitale par la Cour suprême de l’État du Massachussets. Manifestations et grèves se répandent dans le monde entier. «Sept années d’attente, c’est ce chiffre biblique qui, dans le crime de South Braintree, d’abord frappe la foule et la prévient en faveur des condamnés. La justice du Massachusetts, par sa lenteur, a dressé contre elle le sentiment mondial et le droit de punir, de punir de mort surtout, n’est point tel qu’il puisse se dispenser de l’appui du consentement général», écrivait le juriste Henri Vonoven le 7 août 1927 dans Le Figaro. Dans la nuit du 22 au 23 août 1927, les deux Italiens sont assis sur la chaise électrique.

Quelle aura été la part des préjugés de l’époque dans la condamnation de ces deux hommes ? Cinquante ans plus tard, le 23 août 1977, le gouverneur du Massachusetts, Michael Dukakis, tranche et déclare officiellement que Sacco et Vanzetti n’avaient pas bénéficié d’un procès équitable et que «tout déshonneur devait être effacé de leurs noms». Sans gracier les deux anarchistes, cela aurait signifié reconnaître leur culpabilité, ni prendre position en faveur de leur innocence.

En 1971, le film de Giuliano Montaldo, intitulé Sacco et Vanzetti, revient sur l’affaire. Présenté à Cannes, il obtient le prix d’interprétation masculine pour Riccardo Cucciolla incarnant Nicola Sacco. Une chanson originale interprétée par Joan Baez sur la mélodie d’Ennio Morricone, Here’s to You, passe à la postérité. Et traverse les frontières. Le titre dont un seul couplet est répété en boucle pendant toute la durée de la chanson s’inspire des propos de Bartolomeo Vanzetti adressés au juge Thayer: «Si cette chose n’était pas arrivée, j’aurais passé toute ma vie à parler au coin des rues à des hommes méprisants. J’aurais pu mourir inconnu, ignoré : un raté. Ceci est notre carrière et notre triomphe.»

Georges Moustaki en a traduit et chanté les paroles. Mireille Mathieu, les Compagnons de la chanson et Tino Rossi, pour ne citer qu’eux, lui emboîtent le pas. «Maintenant Nicolas et Bart/Vous dormez au fond de nos cœurs/ Vous étiez tous seuls dans la mort/Mais par elle vous vaincrez !», entonnent-ils alors.