Vers 05h30 du matin, ce lundi 22 avril,Kendji Girac, chanteur de musique pop gitane matinée d’électro s’est effondré après avoir été atteint au thorax par balle sur l’aire d’accueil de Grand Passage où étaient rassemblés des gens du voyage près de Biscarrosse dans les Landes. Entre la vie et la mort, l’artiste âgé seulement 27 ans a été transporté en urgence à 68 kilomètres de là, à l’hôpital de Pessac en Gironde. Quelques heures plus tard, son pronostic vital n’était plus engagé.

Est-ce un accident, une dispute qui a particulièrement mal tourné ? Les personnes présentes sur place ont déclaré aux gendarmes que «rien ne s’était passé». La cellule d’investigation criminelle du groupement des Landes a été dépêchée sur place.

Contactés par le Figaro, ses proches se murent dans le silence. La plupart ont mis leurs téléphones portables sur messagerie. Très lié aux gens du voyage au point de vivre une bonne partie de l’année en camping-car sur les mêmes aires de stationnement, le chanteur de variété, Daniel Guichard auteur du tube Le Gitan est un intime de la famille de Kendji Girac. Il a aussitôt envoyé un mot de soutien au père et au cousin de l’artiste, Chico, le chanteur des Gipsy Kings.

Selon les premières déclarations du chanteur, sa blessure par balle aurait été la conséquence d’une mauvaise manipulation d’une arme achetée la veille sur une brocante. Pourra-t-il comme prévu, fêter cette année, ses dix ans de carrière ? Tout dépendra de son état de santé, notamment de ses poumons et de ses cordes vocales.

Amorcée en 2014, sa carrière lui a permis de se produire devant un public fervent avec les tubes Andalouse, Color Gitano, Les yeux de la mama…. On lui doit aussi des duos, notamment avec Florent Pagny. Kendji Girac avait rejoint ce même Pagny qui se remettait de son cancer en Patagonie pour y tourner le beau clip d’Encore, une chanson écrite par Vianney. Grand vendeur d’albums et de tickets de concert, Kendji Girac est un artiste extrêmement populaire qui compte plus de 3 millions d’abonnés sur la plateforme de streaming Spotify.

Chacun de ses concerts est un événement. Au Palais des Sports en 2021, on se souvient de l’entrée remarquée de sa famille avec à sa tête Carmen, la mère du chanteur. Robe longue, cheveux sombres, voix rauque, elle était clairement la vedette de la soirée. Aussitôt les fans se sont précipités pour réclamer un selfie, ce qu’elle a accepté très gentiment. Derrière, Soraya, la compagne du chanteur, silhouette mannequin dans une combinaison rose poudrée réussissait à passer presque inaperçue. La scénographie était simple : des lumières, un mur de vidéo qui fait toute la largeur de la scène et quatre musiciens. Florian au piano, Tony à la batterie, Kema et Benoît à la basse.

Kendji Girac portait tout le show sur ses épaules. Quand il est apparu dans un halo jaune en grattant quelques accords de guitare, comme les plus grands, il a d’emblée mis la salle à ses pieds. Imaginez le Palais des Sports debout, les bras en l’air en tapant des mains. Sur scène, Kendji Girac oscille entre la musique gitane qui est son socle, la pop et le rap. Lunettes de soleil, chapeau, son « compère » le rappeur Soolking d’origine kabyle fait une entrée remarquée sur scène sur leur duo Bebeto. Kendji enchaîne les 90 minutes de show sans temps mort. À l’aise, il discute souvent avec le public. «Je suis tellement content d’être avec vous les amis, ce soir pour ce premier concert, c’est beaucoup d’émotion.»

Bruno Berbérès, directeur de casting de The Voice l’a découvert à l’âge de 17 ans seulement, et l’a inscrit au célèbre télécrochet de TF1 en 2014. Son cinquième album, L’école de la vie, était sorti en 2022. En 2020, le chanteur avait été victime d’une agression en région parisienne. Quatre individus, armés de bombes lacrymogènes, s’en étaient pris à Kendji Girac et à ses amis qui sortaient d’un bowling, pour leur dérober des effets personnels «dont une montre, des clés de voiture ainsi qu’une sacoche». Les auteurs du vol avaient ensuite pris la fuite en voiture. En janvier 2021, sa très discrète compagne Soraya a donné naissance à une petite fille, Eva Alba.

Sa famille est sa colonne vertébrale. Kendji Girac vient de la communauté des gens du voyage, celles des gitans originaires d’Espagne. En plus du français et du catalan, il maîtrise le castillan et la langue occitane. Homme de clan, Kendji est incapable de rester dix jours loin des siens. Sur le terrain qu’il a acquis avec ses premiers cachets, à Brétigny-sur-Orge (Essonne), il y a sa maison, sa caravane et celles de ses proches. « S’il fait beau, je les suis, nous disait-il en 2021. J’ai besoin de verdure, de chemins spacieux, de voir les oiseaux.» À Sanary-sur-Mer, dans le Var, où il s’était offert une autre propriété, «le capitaine Kendji» aime piloter son bateau entre Porquerolles et les calanques de Cassis.

Direct, sans filtre, Kendji se laisse porter au jour le jour. Garçon bien élevé, il ne rechigne jamais à se lever à l’aube. «Les artistes qui réussissent sont ceux qui travaillent, soulignait Pierre-Alexandre Vertadier, producteur de ses concerts. Kendji a en plus une singularité, un talent fou, quelque chose de naturel qui suscite de l’empathie. Il est authentique et les gens le sentent. C’est pour ça qu’il est l’un des plus gros vendeurs de billets de concert et d’albums en France.»

Porté par les hits Color Gitano et Andalouse, aujourd’hui respectivement 151 et 406 millions de vues sur YouTube, il pose les bases de ce qui deviendra son identité musicale: un son aux tonalités de flamenco, le tout sur une langue française parsemée de mots en espagnol. Dans la foulée, il enregistre la version française du tube One last time avec la star de la pop américaine, Ariana Grande. Une consécration pour un artiste français, même si ce titre aura moins d’écho (14 millions de vues sur le YouTube de la chanteuse). Moins d’un an plus tard, il revient avec son second album Ensemble, puis, en 2018 paraît Amigo. Suivront Mi vida en 2020 puis L’école de la vie en 2022.

Juste avant le Covid, Kendji avait chanté à Dubaï et enregistré en Jamaïque. « Dans le même studio, face à la mer, que le rappeur Drake », précisait-il. Que de chemin parcouru pour ce garçon issu d’un milieu modeste, qui à 17 ans n’avait jamais encore pris le train. Chez les Maillé (Girac est le nom de sa mère), les caravanes sont sur la route tous les dix jours et les enfants scolarisés au gré des déplacements familiaux. L’hiver, ils se sédentarisent sur l’aire d’accueil des Gilets, à Bergerac, en Dordogne. Sans être un porte-parole de la communauté des gens du voyage, le chanteur veut toutefois porter «haut et fort (s)on identité gitane», dans un pays où les stéréotypes visant cette communauté ont encore la vie dure.

Dès l’âge de 11 ans, Kendji était devenu élagueur, comme son père. « Je chantais avec ma guitare pour le plaisir, j’ai appris avec mon grand-père, mais jamais je n’aurais imaginé en faire mon métier. » En août 2013, son oncle poste une vidéo de son neveu torse nu dans un pré reprenant avec énergie Bella, de Maître Gims, en version gitane. Sur YouTube, ces 2 min 55 sont vues 7 millions de fois. Tout le showbiz en parle. « J’ai appelé tous les gitans que je connaissais avant de trouver à Marseille celui qui savait où le joindre », raconte Bruno Berberes.

Grâce au coach Mika, Kendji Girac remporte la saison trois du télécrochet, celle de 2013-2014. « Durant The Voice, Mika a su me donner le courage de m’affirmer. Et puis je ne m’échauffais pas la voix. Je ne chantais pas avec le diaphragme, avec le ventre. Je n’articulais pas assez. Des détails qui comptent aujourd’hui », expliquait-il à Ouest-France. Les producteurs se battent pour le signer. Entre deux shows produits avec Kamel Ouali, Hakim Nassouh, 46 ans, donne un coup de main à The Voice et s’occupe plus particulièrement des Maillé. «Mes parents, venus de Kabylie, ne savaient ni lire ni écrire, exactement comme ceux de Kendji, explique-t-il. Cette famille m’a touchée. Ils étaient vierges de tout. Je serai toujours là pour eux et ils le savent.» Homme de l’ombre, Hakim Nassouh a empêché que Kendji ne soit dévoré tout cru par les requins du showbiz. Il est à Kendji ce que Thierry Saïd est à Matt Pokora et Jean-Rachid Kallouche à Grand Corps Malade : un vrai complice, un protecteur bienveillant qui n’a pas son pareil pour négocier les contrats, flairer les tendances et donner des conseils artistiques. Il gère aussi le microcosme gitan. Demander à Kendji ce que font ses sœurs par exemple, c’est susciter un certain étonnement. « Si on est un tant soit peu féministe, le milieu gitan n’est pas l’endroit où aller », s’amuse Bruno Berbérès.Dans la petite famille qui s’est créée autour du chanteur, il y a Maud d’Universal Music, Alban dit «James Dean», qui gère le quotidien et les millions d’abonnés sur les réseaux sociaux. Et les gardes du corps Hernani et Alexis.