L’heure n’est toujours pas à la fête pour les jeunes pousses de la finance (fintechs). Au premier trimestre, les levées de capitaux ont encore chuté de 59 % (en valeur) au niveau mondial, relève la dernière étude du Crédit agricole. La France ne fait pas exception. « Les montants levés ces dernières années par les meilleures fintechs françaises stagnent à 6 milliards d’euros au total », constate ainsi la troisième édition du Palmarès Fintech 100 réalisée par Truffle Capital et Finance Innovation, en partenariat avec BPCE et Sopra Steria. L’étude recense les 100 meilleures fintechs tricolores en fonction de leur chiffre d’affaires, de leur nombre de salariés ou des fonds levés.

Cette année, Qonto, Ledger et Younited Credit sont sur le podium. Partout dans le monde, la remontée rapide des taux d’intérêt a mis fin à la période d’argent facile qui a inondé les start-up technologies pendant plusieurs années. Ce changement de paradigme a rebattu les cartes dans ce jeune secteur qui a vu le jour il y a une dizaine d’années. L’an dernier, faute de capitaux frais, 10 % des fintechs françaises ont mis la clé sous la porte ou ont été rachetées, note le Palmarès Fintech 100. En tête, la start-up de l’assurance (assurtech) Luko, revendue récemment à Allianz pour une bouchée de pain.

« L’éclatement de la bulle des levées de fonds est à l’origine d’un changement radical qui a obligé le secteur à commencer à mûrir, explique Bernard-Louis Roques, cofondateur et directeur général de Truffle Capital. Les fintechs accordent désormais davantage d’importance à leur capacité à générer une marge opérationnelle et à devenir rentables. Jusqu’en 2023, elles étaient souvent obnubilées par une croissance à tous crins, ce qui créait des aberrations. » Les fintechs qui s’en sortent mieux sont celles qui ont levé le plus de capitaux lors des années fastes et qui disposent donc encore suffisamment de trésorerie pour continuer à grandir. « Cela leur assure leur pérennité, leur permet de continuer à croître fortement et d’innover, en ayant par exemple de plus en plus recours à l’intelligence artificielle », avance Bernard-Louis Roques.

Surtout, près des trois quarts de ces jeunes pousses (72 %) ont une activité tournée vers les entreprises, à l’image par exemple de Qonto (activité bancaire pour les TPE-PME), de Swile (titres-restaurant) ou d’Alan (assurance santé pour les sociétés). L’une des principales raisons est liée au fait que, dès le départ, ces start-up ont facturé leurs services aux entreprises, ce qui leur a permis de générer des chiffres d’affaires. Ce qui n’était pas le cas des fintechs dédiées aux particuliers (néobanques, services de paiement…), qui se sont souvent lancées avec des offres gratuites ou aux prix déconnectés de la réalité du terrain. Cela explique les difficultés rencontrées par les assurtechs et certaines fintechs spécialisées dans le prêt.

En début d’année, la plateforme October (ex-Lendix) a ainsi revendu son infrastructure technologique (October Connect) à Sopra et elle a « diminué radicalement » sa capacité à prêter. « Les assurtechs et les sociétés dédiées aux prêts ont souvent privilégié la conquête effrénée de parts de marché sans tenir compte des risques », explique Bernard-Louis Roques. Résultat, elles ont attiré les « mauvais risques », c’est-à-dire les clients dont les compagnies d’assurances ou les banques ne voulaient pas. « Les fintechs ont dû changer de mode de fonctionnement et elles sont devenues beaucoup plus sélectives, ajoute l’expert. Celles qui vont le mieux tirer leur épingle du jeu sont celles dont les secteurs comportent le plus de barrières à l’entrée », ajoute-t-il.

Le passage à l’âge de la maturité implique aussi une poursuite de la concentration du secteur, qui en France compte 2000 jeunes pousses et près de 15.000 salariés. D’autant que les valorisations ont chuté. Près de la moitié (45 %) des entreprises sondées par l’étude Fintech 100 assure avoir des projets de croissance externe. « La crise n’est pas finie et le mouvement de concentration va s’accélérer dans tous les secteurs des fintechs », anticipe Bernard-Louis Roques. Certaines entreprises feront des acquisitions à l’étranger, principalement en Europe, ou chercheront à se diversifier. La majorité (68 % du palmarès Fintech 100) a déjà un pied hors de France. D’autres seront rachetées par de grandes entreprises comme des banques ou des compagnies d’assurances. Des acteurs anglo-saxons pourraient aussi faire leur marché en France. Combien de fintechs seront encore en activité dans cinq ou dix ans ? Cela est difficile à dire, car tous les jours de nouvelles pousses voient le jour, malgré la période de disette financière dont personne ne prédit la fin. « Dans dix ou quinze ans, les fintechs représenteront plus de 20 % de l’industrie financière », prévoit Bernard-Louis Roques. La plupart seront sans doute tournées vers les entreprises.