Emmanuel Macron a mis les deux pieds dans la campagne des européennes, à six semaines du scrutin. Sept ans après son premier discours de la Sorbonne, le chef de l’État a réitéré ce jeudi sa profession de foi pour «une Europe puissante» depuis le grand amphithéâtre. Ce, alors que la liste du camp présidentiel, emmenée par Valérie Hayer (17,5%), reste distancée de plus de dix points dans les sondages par celle du Rassemblement national (31,5%).
Une prise de parole pointée du doigt par les oppositions qui reprochent au président d’ingérer dans la campagne, ce qui ne l’a pas empêché de dérouler pendant près de deux heures sa vision pour le continent. Entouré de son gouvernement, présent dans le public, Emmanuel Macron avait d’ailleurs adressé un carton d’invitation à tous les eurodéputés français, retenus à Strasbourg (Bas-Rhin) pour la dernière session plénière du Parlement.
Derrière un fond bleu constellé des étoiles européennes, Emmanuel Macron a dressé les grandes lignes de son bilan, sept ans après sa première feuille de route. «Nous n’avons pas tout réussi», a-t-il d’abord concédé, pointant des «avancées limitées» pour rendre notre «Europe plus démocratique».
Avant d’énumérer aussitôt les «pas historiques» accomplis par le continent au travers d’«une conjonction inédite de crises». À commencer par celle de la pandémie de Covid-19, durant laquelle l’Europe a fait selon lui «le choix de l’unité financière». «Rien n’était dit sur ce sujet. Lorsque nous proposions une capacité d’endettement commun, on nous a dit : “belle idée française, ça n’arrivera jamais”», a-t-il lancé du haut de son pupitre, citant les bienfaits des «projets de relance» jusqu’au «soutien de nos entreprises».
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Le chef de l’État a ensuite loué le «choix de l’unité stratégique», notamment sur la «santé» jusqu’alors prérogative des États. «Si la France a pu vacciner dès le début de l’année 2021, c’est parce qu’il y a eu ce réflexe européen», a-t-il assuré.
Troisième «pas décisif», celui d’une «souveraineté technologique et industrielle». Devant un parterre de parlementaires, Emmanuel Macron a énuméré les initiatives en la matière lancées depuis son premier quinquennat : «Dès 2018, nous avons lancé une initiative avec l’Allemagne pour soutenir notre filière de batterie, étendue ensuite à l’hydrogène, à l’électronique ou encore la santé, (…), le char du futur, le système de combat aérien du futur. Et avec nos amis néerlandais, sur les sous-marins aussi, des initiatives structurantes.»
Emmanuel Macron est ensuite revenu sur «la stratégie d’autonomie» du continent, développée «dès le moment de la pandémie mais surtout dans les premières semaines après l’agression russe conter l’Ukraine». «Assumant ce choix en Européen» et affirmant la sortie de l’Europe de «cette naïveté technologique et industrielle», le locataire de l’Élysée a martelé la nécessité «de mettre fin à nos dépendances stratégiques dans des secteurs clés», comme les semi-conducteurs et autres «matières premières critiques».
Tandis que la guerre se poursuit depuis plus de deux ans aux portes de l’Europe, Emmanuel Macron a pointé «un moment de bascule» pour le continent. «L’Europe est mortelle (…) Nous ne sommes pas armés face au risque qui est le nôtre», a-t-il reconnu. Face aux poussées territoriales de la Russie, l’Europe est selon lui «dans une situation d’encerclement». «C’est aujourd’hui que se joue la question de la paix et de la guerre sur notre continent et notre capacité à assurer notre sécurité ou pas», a mis en garde le président.
Ce, alors que la France a «doublé son budget de défense», a-t-il souligné. Pas assez néanmoins face à «l’accroissement des capacités militaires» partout dans le monde, alimenté notamment par des «puissances désinhibées régionales comme la Russie et l’Iran». «Le fait même que la guerre soit revenue et qu’elle soit menée par une puissance dotée d’une arme nucléaire a changé les règles du jeu», a appuyé le chef de l’État, en référence au conflit que mène le Kremlin en Ukraine.
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Emmanuel Macron a d’ailleurs appelé à ne pas miser seulement sur l’allié américain, notamment dans la protection du continent. «Les États-Unis ont deux priorités : les États-Unis d’abord, et la question chinoise ensuite. La question européenne n’est pas une priorité géopolitique», a-t-il affirmé. Avec un objectif réitéré tout au long du discours : «Montrer que l’Europe n’est jamais le vassal de l’Amérique.»
«Principal danger» pour l’Europe, la guerre en Ukraine a longuement été abordée. Rappelant la nécessité que «la Russie ne gagne pas» ce conflit, le président est revenu sur son hypothèse d’envoyer des troupes occidentales en Ukraine. «J’assume totalement le choix en la matière, le 16 février, d’avoir introduit une ambiguïté stratégique», a-t-il expliqué. «Nous sommes face à une puissance désinhibée, qui a attaqué un pays d’Europe, mais qui n’est plus dans une opération spéciale et qui ne veut plus nous dire quelle est la limite. Pourquoi chaque matin devrions nous dire quelles sont toutes nos limites stratégiquement ?», a-t-il interrogé, concentrant ses charges sur Moscou.
«Avons-nous des limites ? Non», a-t-il averti, alors que les oppositions avaient dénoncé des propos «va-t-en-guerre». Et d’affirmer : «Nous devons être crédibles, dissuader, être présent et continuer l’effort», avant d’annoncer une réunion avec «tous nos partenaires» dans les prochains mois pour réfléchir à «un concept stratégique», dans lequel «la France jouera tout son rôle».
Alors que l’adhésion de Kiev à l’Union européenne divise les 27, Emmanuel Macron a assuré que le pays appartient à «notre famille européenne» et a «vocation à rejoindre» l’UE, comme la Moldavie.
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«Comment voulons-nous construire notre autonomie si nous n’assumons pas aussi de développer une industrie de défense européenne ?», a interrogé le chef de l’État. Pour rattraper «des décennies de sous-investissements» dans les industries de défense, Emmanuel Macron a réitéré son appel à bâtir «un nouveau paradigme» entre Européens. Notamment en lançant «un nouvel emprunt européen» pour renforcer l’arsenal militaire.
Manière de s’affranchir un peu plus de «notre forte dépense à l’égard de l’industrie non européenne» en matière d’armements. «Il nous faut une préférence européenne dans l’achat de matériel», a-t-il martelé, alors que le Vieux Continent importe du matériel «américain» ou «coréen». Y compris en matière «spatial», domaine où les pays européens restent à la traîne
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L’occasion également pour la France de tirer son épingle du jeu. «Nous pouvons pousser nos standards», a-t-il affirmé. Et de concéder : «Parfois nous découvrions entre Européens que nos canons n’étaient pas du même calibre (…) et que ça réduisait notre capacité à agir ensemble sur de mêmes opérations.»
Alors que l’immigration est l’un des thèmes majeurs de la campagne, Emmanuel Macron a appelé à «une vraie politique européenne et une vraie coordination» en la matière. «Nos frontières sont un bien commun», a-t-il assumé, deux semaines après l’adoption du pacte asile et migration au Parlement européen. Un texte contesté qu’il évoque comme «un acquis essentiel» des «dernières années».
D’après le chef de l’État, la protection des frontières «passera par davantage de coordination avec les pays d’origine et de transit. Des conditionnalités plus franches. Et une lutte sans relâche contre le modèle économique des passeurs et des trafiquants d’êtres humains». Emmanuel Macron a par la même occasion réclamé d’agir «avec plus de fermeté» en matière de «retour et de réadmission» envers ceux qui ne sont pas éligibles à l’asile.
Le président a néanmoins balayé le modèle «qui consisterait à trouver des pays tiers sur le continent africain» pour accueillir les demandeurs d’asile, comme vient de l’approuver le Royaume-Uni avec le Rwanda.
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Face à l’appétit des puissances extérieures, Emmanuel Macron a appelé à un sursaut économique au risque que l’Europe ne connaisse un «décrochage». Quitte à revoir le «modèle de croissance» du continent qui n’est plus «soutenable» pour éviter «un appauvrissement». «On ne peut durablement avoir les normes environnementales et sociales les plus exigeantes, moins investir que nos compétiteurs, et penser qu’on continuera à créer des emplois. Ça ne tient plus», a mis en garde le chef de l’État, alors qu’une crise agricole a secoué il y a quelques mois tous les pays de l’Union.
Façon de pointer du doigt les pays qui ne se soumettent pas «aux règles du jeu» économique. «Les deux premières puissances internationales ont décidé de ne plus respecter les règles du commerce», a-t-il renchéri, en référence aux États-Unis et à son rival chinois. Avant de résumer : «Nous réglementons trop, nous investissons trop peu, nous sommes trop ouverts et nous ne défendons pas assez nos intérêts.»
Raison pour laquelle l’Europe doit réfléchir à une «révision» de sa politique commerciale. «Nous allons inventer un continent qui surcontraint ses producteurs sur son sol et qui par sa politique commerciale lève les contraintes pour les autres », a-t-il insisté. Il n’empêche, Emmanuel Macron assure qu’il ne faut pas «tomber dans le refus de tout accord commercial», à l’image du traité avec le Canada (Ceta). «La fermeture serait décroissante pour les industriels européens», a-t-il pointé, louant «une concurrence loyale».
«Gros mot il y a encore sept ans», l’accélération de la politique industrielle est un autre axe majeur du «pacte de prospérité» déroulé par Emmanuel Macron. «Je crois très profondément que la politique industrielle est un jalon clé de notre prospérité par rapport à l’extérieur mais aussi d’un bon aménagement du territoire européen», a avancé le chef de l’État.
Pour ce faire, il faut des «objectifs de production sur le sol européen», «des actions de formation», des «investissements communs» et «consolider ce que nous avons déjà fait». «Décidons maintenant de faire de l’Europe un leader mondial d’ici 2030 dans cinq secteurs parmi les plus émergents et les plus stratégiques», a déclaré le président. Les domaines visés : l’intelligence artificielle, l’informatique quantique, l’espace, les biotechnologies et les nouvelles énergies.
Face aux menaces qui pèsent sur les «valeurs» de l’Union européenne, Emmanuel Macron veut défendre le modèle de société qui «nous distingue des autres». Après l’inscription de l’IVG dans la Constitution française, le chef de l’État souhaite désormais que l’avortement figure dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Le président entend également «reciviliser l’espace numérique». Ce dernier a notamment plaidé pour une «Europe de la majorité numérique à 15 ans». «Avant 15 ans, il doit y avoir un contrôle parental sur l’accès à cet espace numérique», a-t-il avancé. «Est-ce que quelqu’un envoie son enfant dans la jungle? À 5 ans, 10 ans, 12 ans. Personne je pense de sensé», a-t-il expliqué, pour «reprendre le contrôle de la vie de nos adolescents».