Il y a longtemps qu’on n’avait pas vu le public se lever pour saluer la performance d’une comédienne. Lors de la première de La Blessure et la Soif, d’après le roman de Laurence Plazenet (Gallimard, 2009), Fanny Ardant a fait l’unanimité. L’inoubliable interprète de La Femme d’à côté n’avait pas joué au théâtre depuis 2020. C’était dans La Passion suspendue, adapté d’entretiens avec Marguerite Duras. Elle y a débuté il y a cinquante ans.
Seule sur scène, l’actrice brune incarne cette fois une héroïne transie d’amour. L’histoire se passe au XVIIe siècle. Élevée au couvent, Madame de Clermont a été mariée à 15 ans à un homme qui aurait pu être son père. Mère de quatre garçons, duchesse, elle mène la vie dévote qu’on a choisie pour elle.
Jusqu’à ce jour d’été où elle fait la connaissance de Monsieur de La Tour. Blessé au combat, le jeune homme s’effondre sur l’allée qui mène à sa demeure. Un regard suffit, ils sont foudroyés d’amour. Et comprennent d’emblée qu’ils sont liés jusqu’à la fin de leur existence. Bien sûr ce sentiment est interdit. Monsieur de la Tour est le neveu du mari de Madame de Clermont et celle-ci lui doit fidélité. Bouleversée par une passion qu’elle découvre, elle résiste d’abord à la tentation. Interpelle Dieu qui semble la tester, mais l’enfer est pavé de bonnes intentions. Madame de Clermont aime pour la première fois et sait vite qu’il lui sera impossible de ne pas succomber. D’autant qu’elle est aimée en retour.
Somptueuse dans une robe scintillante bleu nuit qu’on dirait sortie du conte de Peau d’âne (création de Michel Dussarrat), Fanny Ardant porte ce spectacle intimiste avec une grande justesse. Yeux brillants de joie ou de tristesse, poings serrés, sous ses traits altiers, Madame de Clermont voit son cœur exploser et son corps s’extirper du carcan d’une société conventionnelle, connaître la jouissance. Son âme aussi se déchire en lutte avec la loi divine qui apparaît implacable. Plus rien ne compte que cet autre auquel elle se donne et dont elle sera séparée. La musique d’Armand Amar marque les heures sombres.
Au début, Fanny Ardant est dans une pénombre mystique. On s’attache ainsi d’abord à sa voix chaude, radiophonique, reconnaissable. La mise en scène minimaliste de Catherine Schaub se devine plus qu’elle ne s’impose. L’actrice joue également le rôle de l’amant dans le décor de Jean Haas : une fenêtre, des rideaux noirs et des sièges recouverts de tissu gris – l’un fera office de lit – et un prie-Dieu. Laurence Plazenet a élagué son livre, une somme de plus de 560 pages à coups de serpe, supprimé un personnage important pour resserrer l’intrigue autour d’une femme qui se révèle à elle-même à travers une passion. Fanny Ardant a toujours le trac. Elle avait dit : « Le théâtre, plus jamais. » Heureusement, elle a changé d’avis.
Jusqu’au 1er juin, Studio Marigny (Paris 8e). Tél. : 01 86 47 72 77.
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