L’initiative est verte, mais le patron de TotalEnergies voit rouge. Patrick Pouyanné a été auditionné lundi au Sénat par la « commission d’enquête sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France ».

L’occasion pour Patrick Pouyanné de se glisser dans les habits d’un professeur ès énergies. Dans son long propos liminaire, le patron de TotalEnergies a dressé un panorama de la demande mondiale de l’offre et de la demande énergétique mondiale. La croissance de cette dernière implique que l’offre suive pour que l’accès à l’énergie réponde à trois impératifs : « être disponible, durable et abordable ». Cela passe, selon lui, par une augmentation de la production de gaz et, dans une moindre mesure, de pétrole, en attendant que les capacités de production de renouvelables soient suffisantes pour couvrir les besoins additionnels du monde en énergie. D’abord policés, les échanges se sont rapidement musclés.

Agacé par les références constantes aux projections de l’Agence nationale de l’énergie, il a fustigé cette « nouvelle Bible » de l’énergie. Toute la démonstration de Patrick Pouyanné repose sur le passage « d’un système A à un système B ». « A » pour le marché actuel dominé par les hydrocarbures, « B » pour les énergies renouvelables. Mais le passage de l’un à l’autre ne peut se faire en un claquement de doigts, sous peine de voir les prix s’envoler. Dans cette optique, il fait d’ailleurs entrer le gaz, moins émetteur de CO2 que le charbon et le pétrole, dans l’équation de la transition énergétique, en attendant l’avènement des renouvelables.

Agacé aussi par le rapport sur « les bombes climatiques », Patrick Pouyanné a souligné que des champs pétroliers étaient attribués indûment à TotalEnergies. « Comment une entreprise qui produit 1 % du pétrole dans le monde peut-elle être responsable des 25 bombes climatiques ? » Il a aussi exclu de vendre ou de fermer des actifs uniquement pour réduire les émissions de CO2 imputables à la compagnie. Son objectif est qu’à la fin de la décennie l’entreprise ne vende pas plus de pétrole que ce qu’elle produit. « Nous ne vendons plus de fioul à des centrales électriques », a-t-il illustré.

Interrogé sur le sujet, il a réaffirmé la position de son groupe dans le nucléaire. TotalEnergies « n’est pas capable d’être un producteur ». Il s’est à nouveau dit prêt à « acheter de l’électricité nucléaire à EDF, avec des contrats à 15 ou 20 ans », comme il le fait pour le gaz naturel. La signature de la compagnie serait même un gage pour obtenir de meilleures conditions de financement pour les producteurs d’électricité nucléaire.

Les relations crispées entre certains membres de cette commission et TotalEnergies ne datent pas d’hier. Celle-ci a été créée à l’initiative du groupe écologiste Solidarité et territoire au Sénat. Le sénateur LR Roger Karoutchi en assure la présidence et le rapporteur n’est autre que Yannick Jadot. En 2022, celui qui était alors candidat à l’élection présidentielle avait accusé TotalEnergies de « complicité de crimes de guerre », au vu des activités du groupe en Russie, dont certaines perdurent. TotalEnergies avait aussitôt attaqué Yannick Jadot en diffamation. La procédure suit son cours. Ce dernier ne peut pas intervenir sur les questions en lien avec la Russie, conformément à la décision du comité de déontologie du sénat. Interdit de questions sur la Russie, il en a donc posé sur l’Azerbaïdjan, le Mozambique et l’Ouganda, pointant « un cadre qui contrevient aux valeurs de la République ».

D’autres se sont chargés d’interroger le PDG sur la Russie. « J’ai d’abord pensé qu’il était possible d’ancrer la Russie dans l’Europe avec des relations économiques. (…) Peu de voix sont venues nous dire que nous avions tort en 2014 », a-t-il répondu. Le groupe se trouve aujourd’hui dans une impasse : il dispose toujours d’actifs en Russie, n’a pas le droit de vendre les actions à un partenaire et, s’il devait le faire, serait contraint de « les donner pour rien à quelqu’un qui est sous sanction et ça, ça ne marche pas », a-t-il tranché. « Si on bannit le gaz naturel liquéfié russe du pétrole, les prix repartiront à la hausse. »

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La commission, qui a commencé son travail en janvier, devrait l’avoir achevé « au plus tard » le 14 juin. Elle a déjà réalisé pas moins de trente-quatre auditions. Le panel des interviewés est pour le moins vaste. Plusieurs ministres ont été entendus : Bruno Le Maire (Économie) Christophe Béchu (Environnement), Stéphane Séjourné (Europe et affaire étrangères), des patrons de grands groupes, comme celui de Stellantis, Carlos Tavares, ou celui d’Airbus, Guillaume Faury, ainsi que des économistes et des organisations non gouvernementales œuvrant pour la défense de l’environnement.