À Rome
La présence d’Ursula von der Leyen, hier à Lampedusa, à l’invitation expresse de Giorgia Meloni de «venir se rendre compte en personne de la situation critique» , les appels d’Emmanuel Macron à la présidente du Conseil italien et «à ne pas laisser l’Italie seule», ceux enfin du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin à son homologue italien… Autant de gestes qui ont été perçus à Rome comme les premiers signes que l’Italie attendait.
«Ce ne sont pas tant des signes de solidarité, précisait hier Giorgia Meloni, en conférence de presse avec Ursula von der Leyen, que de la responsabilité de l’Europe envers elle-même. Car les frontières italiennes sont aussi les siennes. Ces arrivées sont le problème de tous, et l’avenir de l’Europe se joue sur sa capacité à affronter pour elle-même ces défis historiques.» Lesquels requièrent «des solutions sérieuses, complexes et durables, pour autant que nous travaillons tous dans la même direction». Un préambule à des demandes spécifiques, mais encore peu précises, dont le point commun est l’organisation au niveau européen de la maîtrise des départs et de la gestion des retours.
Ursula von der Leyen a répliqué affirmant «soutenir la réponse coordonnée demandée par l’Italie» avant d’énumérer un plan d’action en dix points, qui pour l’essentiel reprend les axes déjà formulés en début d’année. Mais avec aussi de nouvelles pistes visant à accentuer la coordination que demande l’Italie. Elle envisage, entre autres, d’étendre les missions maritimes de Frontex, d’apporter son aide pour l’enregistrement des migrants, leur transfert vers d’autres centres d’Italie et leurs rapatriements. Elle envisage aussi de mettre l’Agence européenne de l’asile au service du traitement des demandes d’asile en Italie. Ou encore d’étendre le rôle de l’opération Sophia de lutte contre le trafic des passeurs, davantage tournée vers le sauvetage mais qui avait été mise en sourdine, vers une activité de surveillance des mers. Enfin, elle a nommé un commissaire européen pour dialoguer avec les pays de départ, pour à la fois parvenir à bloquer les départs et favoriser les retours.
À lire aussiLes Européens incapables de s’unir sur un nouveau pacte asile et migration
Si ces pistes de travail demandent à être précisées, le symbole de la venue d’Ursula von der Leyen aux côtés de Giorgia Meloni n’en demeure pas moins fort. Pour la présidente du Conseil italien, très attaquée sur l’échec de sa politique migratoire, un terrain où se joue la concurrence des droites en Europe, c’est un demi-succès. «Cette crise migratoire sur fond d’élections européennes en 2024 a déclenché une compétition féroce interne au gouvernement entre les deux forces les plus hostiles à l’immigration, devenue le terrain de la concurrence frontale», explique Lorenzo Castellani, politologue à la Luiss à Rome.
À lire aussiLampedusa: les raisons d’une vague migratoire hors norme
Difficultés qui ont poussé le leader de la Ligue, Matteo Salvini, l’homme de «la fermeture des ports» en 2018-2019, à se positionner sur le thème: «Si j’avais été en charge de l’immigration, on n’en serait pas là.» Or au moment même où Matteo Salvini lançait sa campagne pour les européennes à la fête annuelle de la Ligue à Pontida, avec Marine Le Pen en guest-star, pour «défendre l’identité des peuples contre l’Europe», Giorgia Meloni, démontrait par des actes qu’elle faisait avancer l’Europe, ou du moins que l’Europe lui donnait du crédit pour son action. Elle aussi est en campagne pour les européennes…
Au moment même où elle était mise en difficulté, elle a contre-attaqué fort. À la veille du week-end, dans une vidéo de plus de 6 minutes, elle s’est adressée aux Italiens pour expliquer sur un ton grave et déterminé pourquoi l’Italie peine tant à gérer cette immigration illégale. Cela est dû, dit-elle, à la «pression insoutenable», fruit d’«une conjoncture internationale extrêmement difficile». Elle y accuse aussi à demi-mot les socialistes en Europe d’avoir sapé l’accord avec la Tunisie, pour lequel elle s’est tant donnée. Laissant entendre que cela aurait pu pousser le président tunisien, Kaïs Saïed, à relâcher le contrôle des côtes et à laisser partir en masse les embarcations de migrants.
À lire aussiÀ Lampedusa, la solidarité a cédé la place à l’exaspération
Dans cette vidéo, elle annonce un ensemble de «mesures extraordinaires» qui vont être adoptées ce lundi en Conseil des ministres, en plus du renforcement du contrôle de l’âge des mineurs non accompagnés prévu depuis plusieurs semaines: elle décide de confier à l’armée, seule institution italienne capable d’exécuter vite et bien un plan ambitieux en cas de crise, le soin de construire de nouvelles structures d’accueil, essentiellement des camps de tentes, pour y abriter les migrants illégaux. Et ce, «là où la densité de population est très faible et où l’environnement facilite la surveillance», en clair dans des endroits isolés pour ne pas effrayer les habitants. Elle a aussi annoncé vouloir rallonger la durée légale de détention des migrants illégaux en la portant à 18 mois, la durée maximale autorisée en Europe. Autant de mesures «à droite toute» qui visent à faire taire les critiques sur sa droite… mais avec la bénédiction de l’Europe.
Cette contre-offensive adoubée de facto par la présence d’Ursula von der Leyen à ses côtés a incité Matteo Salvini à changer de ton. À l’ouverture de sa fête de Pontida, il a affirmé qu’il existait une «harmonie totale au sein du gouvernement». Et hier encore, il réitérait: «Moi ici aujourd’hui et Giorgia à Lampedusa, c’est la synthèse d’un même objectif et d’un destin commun, même si nous avons des cultures et un sens du militantisme différent. Ils ne parviendront pas à nous diviser.»