Le vote des banlieues. Il est central dans la stratégie électorale mise en place par La France insoumise. Derrière Jean-Luc Mélenchon, passé en quelques années d’intraitable laïcard à défenseur du multiculturalisme et des «minorités» religieuses ou ethniques, ses compagnons de route ont fait de ces quartiers leur cible prioritaire. Une stratégie payante à certains égards… Mais qui pourrait s’avérer perdante sur le long terme, en agissant comme repoussoir pour une large part de l’électorat, y compris à gauche. C’est du moins ce qui ressort d’un sondage réalisé par Cluster-17 pour l’hebdomadaire Marianne mercredi 20 septembre. La publication de cette étude intervient à quelques jours de la manifestation contre les violences policières initiée par plusieurs partis politiques, dont LFI, qui crée des remous à gauche.
Selon ces travaux, l’image de la France insoumise est meilleure dans les fameux «QPV» (quartiers prioritaires de la ville) que dans le reste de la France. Lorsqu’on demande à ces habitants d’associer les insoumis à des adjectifs, 17% d’entre eux choisissent les qualificatifs «sérieux» et «représentatif», contre seulement 10% hors QPV. Dans les banlieues, 19% des sondés les associent au qualificatif «courageux» et 38% à «populaire», contre respectivement 11% et 30% dans le reste du pays.
Inversement, les habitants des QPV sont moins nombreux à leur accoler des qualificatifs négatifs : 36% d’entre eux les qualifient d’«inquiétant» contre 50% hors QPV. Les adjectifs «opportuniste» et «déconnecté» sont aussi moins employés dans ces quartiers, avec respectivement 31% et 30% des sondés contre 40% et 38% hors banlieues. Par ailleurs, LFI est la première force politique en laquelle les Français des banlieues ont confiance pour l’amélioration de leur pouvoir d’achat (28 %), largement devant le RN (17 %). À noter cependant que la plus grande partie des habitants de ces quartiers (47%) ne fait confiance à aucun parti sur la question.
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Tous les voyants ne sont cependant pas au vert. À la question de savoir quel parti politique les a le mieux représentés pendant les émeutes consécutives à la mort de Nahel, le jeune délinquant abattu par un policier, seuls 16% des habitants des QPV désignent LFI. C’est davantage que LR (3%), Reconquête! (3%), ou même que les autres partis de gauche, EELV (1%), PS (3%) ou PCF (3%). Mais c’est autant et même un tout petit peu moins que le RN, qui arrive en tête sur ce point (17%). Plus inquiétant peut-être, lorsqu’on demande à ces Français de noter LFI de 0 à 10 sur sa compréhension de leurs problèmes quotidiens, le mouvement n’obtient qu’une note de 4 dans les banlieues. Là encore, c’est davantage que dans le reste de la France, où la note obtenue est 2,5.
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De la même manière, les polémiques sur l’abaya ou les violences policières rencontrent un écho plus favorable dans les banlieues qu’ailleurs. Mais elles sont loin d’être considérées comme prioritaires. Ainsi, 49 % des sondés de ces quartiers sont d’accord avec la déclaration du député LFI Paul Vannier selon laquelle l’interdiction de l’abaya serait «raciste, islamophobe» et constituerait «une diversion visant à masquer les graves difficultés de cette rentrée», contre seulement 34% dans le reste de la France. De même, 37% d’entre eux reprennent à leur compte l’idée selon laquelle «le pouvoir ne contrôle pas la police», pour reprendre les mots de Jean-Luc Mélenchon, contre seulement 24% dans le reste du pays.
À noter toutefois, ces prises de position des leaders de LFI sur la police et les abayas sont respectivement désapprouvées par 49% et 40% des sondés des QPV et 70 % et 59 % des sondés hors QPV. Voilà qui pourrait amener de l’eau au moulin de François Ruffin, qui s’est prononcé à plusieurs reprises pour une ligne plus mesurée sur ces sujets, afin de ne pas braquer un électorat de gauche plus modéré. Le député de la Somme, qui ressort comme l’une des personnalités préférées dans les quartiers (5,6/10) derrière Jean-Luc Mélenchon (6,4/10), est partisan d’une union entre la «France des barres» et la «France des bourgs».
Quoi qu’il en soit, ces sujets centraux dans la communication de LFI sont considérés comme secondaires. Le sondage révèle que les Français, banlieues et hors banlieues, s’accordent pour fixer la santé, l’éducation, la vie chère, la sécurité et le logement en tête de leurs priorités. Les deux ensembles sondés par Cluster-17 ne divergent que sur la sixième priorité : violences policières pour les premiers, immigration pour les seconds.
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Enfin, les abstentionnistes, encore plus nombreux qu’ailleurs dans ces quartiers, rejettent tous les partis politiques et LFI ne dispose d’aucun traitement de faveur. Par exemple, 61% d’entre eux ne font confiance à «aucun» parti pour améliorer leur pouvoir d’achat. De la même manière, ils sont 64% à ne choisir «aucun» groupe politique qui ait su les représenter pendant les émeutes. Enfin, LFI n’obtient auprès d’eux qu’une note de 2,5 sur 10 sur la capacité à comprendre les problèmes du quotidien.
LFI fait donc globalement deux fois mieux dans les banlieues que dans le reste du pays, fruit de son investissement électoral dans ces quartiers. Pour autant, elle n’y est pas enracinée comme une force politique majoritaire. Pour l’heure, elle y maintient les scores historiquement dominants de la gauche, sans enregistrer une progression majeure. Surtout, cette stratégie électorale constitue un repoussoir pour beaucoup d’électeurs dans le reste du pays, où les prises de position les plus radicales de LFI sont mal reçues, y compris par l’électorat de gauche.