Après 14 heures de délibération, le roi de l’afro-trap MHD, de son vrai nom Mohamed Sylla, a été condamné ce samedi soir à 12 ans de réclusion criminelle pour le meurtre d’un jeune de 23 ans lors d’une rixe mortelle à l’été 2018, à Paris.
Cinq de ses coaccusés, qui étaient jugés à ses côtés pour ce meurtre, ont également été condamnés à des peines allant de 10 à 18 ans de prison. Trois autres hommes ont pour leur part été acquittés.
Le parquet et la défense disposent désormais d’un délai de 10 jours pour interjeter appel.
Dans la nuit du 5 au 6 juillet 2018, Loïk K. un jeune de la cité de la Grange-aux-Belles (19e arrondissement) a été renversé par une Mercedes appartenant à Mohamed Sylla, puis frappé et poignardé à mort par une dizaine d’individus cagoulés. La voiture a été retrouvée le lendemain incendiée dans un parking. Les auteurs appartenaient à la cité des Chaufourniers, un quartier rival avec lequel les affrontements, de plus en plus sanglant, sont continus.
Le procès, qui s’est ouvert cinq ans plus tard, a mis en lumière toutes les fragilités de l’enquête. Pour identifier chaque participant, les enquêteurs se sont largement appuyés sur des vidéos de la scène du crime, deux filmées par des caméras de vidéosurveillance et une troisième par un témoin depuis son balcon. Mais ces séquences, filmées de nuit et de loin, laissent de sérieux doutes quant à la fiabilité de l’identification. Signe des faiblesses du dossier, l’un des accusés a ainsi été disculpé par un policier devant la cour, fait rarissime: «On n’a pas assez d’éléments contre Wissem E. Pour nous, il n’est pas dans cette affaire». De son côté, la défense n’a eu de cesse de dénoncer un véritable «fiasco judiciaire», avec un dossier reposant uniquement sur la rumeur: «Vous êtes sur un terrain judiciaire très glissant qui se construit à partir d’une rumeur», a ainsi fustigé Me Elise Arfi, avocate du rappeur.
Car l’affaire subit la terrible loi du silence qui tient ces bandes de jeunes issues des quartiers. Tous les accusés ont nié avoir participé au meurtre, mais certains ont avoué connaître les véritables auteurs. Sauf qu’aucun n’a été disposé à donner de noms: «Tout le long du dossier, vous savez très bien ce qui se passe et ce que les gens peuvent encourir. Je n’ai pas de privilèges», a ainsi admis Mohamed Sylla lors de son interrogatoire. La soumission à la loi de silence s’accompagne de pressions et de menaces qui laissent vaines toute tentative d’obtenir la vérité: «Concrètement, on m’avait demandé de fermer ma gueule sur cette affaire», a ainsi confié Wissem E. Par peur de représailles, la quasi-totalité des témoins à charge ne se sont donc pas présentés aux convocations de la cour d’assises de Paris.
Jeudi, l’avocat général avait requis deux acquittements et des peines de 13 à 20 ans de prison contre les sept autres accusés, dont 18 ans de réclusion criminelle pour le rappeur. À l’occasion des derniers mots des accusés ce matin, Mohamed Sylla avait de nouveau nié avoir participé à ce lynchage sanglant: «Depuis le début, je clame mon innocence dans cette histoire et je continuerai à clamer mon innocence», a-t-il prévenu, alors que de nombreux fans se massaient sur les bancs du public.
Au terme de trois semaines d’audience, ce verdict laisse un goût amer pour la famille de la victime qui demandait «que ceux qui savent parlent, que la vérité se manifeste, que justice soit faite». De quoi reprendre l’interrogation de la présidente, impuissante face au poids de l’omerta dans ce dossier: «Est-ce qu’il y a la place pour la vérité, aujourd’hui dans cette salle d’assises ?»