Un «accord» face à l’inflation. Invité du JT de TF1 et de France 2 ce dimanche soir, Emmanuel Macron a dévoilé une nouvelle piste pour lutter contre la flambée des prix dans les rayons des magasins. Alors que les étiquettes continuaient d’augmenter de 11,2% sur un an en août, selon l’Insee, le chef de l’État souhaite «remettre autour de la table» distributeurs et industriels, pour qu’ils acceptent de compresser leurs marges, baissant d’autant la facture pour le consommateur.
«Quand on voit les prix, c’est très nettement au-dessus de l’augmentation des matières premières», s’est justifié Emmanuel Macron. Outre la réouverture anticipée des négociations commerciales entre ces acteurs et les distributeurs, qui sera entérinée par le projet de loi attendu ce mercredi en conseil des ministres, le gouvernement entend bien arracher «un accord sur la modération des marges dans tout le secteur» agroalimentaire. «C’est insupportable de voir tant de nos compatriotes qui sont dans cette situation, de devoir choisir des biens essentiels pour eux, pour leurs enfants, pour leur famille. Personne ne doit profiter de cette crise», a lancé le président de la République.
Concrètement, le chef de l’État espère ainsi éviter que des hausses indues des marges des principaux industriels pèsent sur le budget des ménages. Les différents acteurs pourraient se mettre d’accord entre eux. Des «contrôleurs» seraient chargés d’encadrer cette procédure.
Le principe d’un accord visant à modérer les marges a déjà existé, précise Bercy, qui renvoie à un précédent datant de 2011. À l’époque, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, était chargé de l’Agriculture, dans un contexte marqué par l’augmentation des marges des distributeurs sur les fruits et légumes, alors même que les prix des matières premières baissaient suite à des «crises agricoles». Alors député, Christian Estrosi appelait à plafonner les marges de ces acteurs, sur une liste de produits de base.
En mai, le gouvernement avait dégainé un décret en application de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche de 2010. Ce texte introduisait la possibilité pour les distributeurs de conclure des «accords de modération des marges» avec l’État. «Dans le cadre d’un accord de modération de marge, le distributeur s’engage, lorsqu’un produit est entré en crise conjoncturelle, à réduire sa marge brute pratiquée sur ce produit afin que le taux de marge brute sur ce produit soit inférieur ou égal à la moyenne sur trois ans des taux de marge brute du rayon de fruits et légumes», précisait le texte.
Ces accords étaient conclus pour un an, avec l’État. Ils fonctionnaient sur la base du volontariat, mais avec un volet incitatif, en exonérant «les distributeurs du paiement de la taxe additionnelle à la taxe sur les surfaces commerciales (TATaSCom)» s’ils s’engageaient. «En aucun cas, le prix à la consommation sur ce produit durant la période de crise conjoncturelle ne peut être supérieur au prix qui aurait été constaté le premier jour de crise si l’entreprise avait appliqué la marge brute moyenne des trois dernières années sur le rayon. L’enseigne s’engage à mettre en place ce dispositif sans délai dès que la crise conjoncturelle est avérée et au plus tard dans les 48 heures qui suivent le début de la période de crise. Cet engagement prend fin lorsque la période de crise conjoncturelle du produit a cessé», ajoutait le décret.
Si le principe d’un accord sur la «modération des marges» a donc déjà existé, de nombreuses questions demeurent. Qu’il s’agisse de la liste des produits concernés, des acteurs – industriels ? Distributeurs ? État ? – qui signeront l’accord, de sa durée, ou de la manière dont les marges seront plafonnées, un long travail de discussion s’engage pour définir les contours de ce projet. Le ministre de l’Économie rencontrait d’ailleurs les industriels de l’agroalimentaire – l’Ania et l’Ilec – ce lundi matin, en compagnie de sa collègue chargée du Commerce, Olivia Grégoire.
Sur le principe, ces représentants semblent ouverts à la discussion. Appelant à mettre fin à «la période de suspicion autour des soi-disant surmarges réalisées en France par les fabricants de produits de grande consommation», l’Ilec attend des précisions sur l’accord et souligne que ses marges «sont déjà très faibles par rapport à celles réalisées dans les autres pays européens». L’Ilec attend par ailleurs de connaître l’avis «de l’Autorité de la concurrence» sur ce projet, avant de le soumettre à ses adhérents, dont Candia, Danone, Ferrero ou Bonduelle.
Reste, également, à définir le niveau de marge acceptable, et quels acteurs doivent porter l’effort, alors que, ces derniers mois, de nombreux rapports sont arrivés à des conclusions contradictoires. Dans une sorte de jeu de poker menteur, chaque entreprise accuse l’autre d’être responsable de la hausse des prix. En juillet 2022, un premier document, du Sénat, épinglait plutôt les distributeurs, soulignant que «l’inflation en rayon est largement justifiée par l’envolée des matières premières». Quelques jours plus tard, les députés étaient parvenus à une conclusion similaire, ne voyant pas de preuve de «comportements abusifs systémiques de la part des industriels ou des distributeurs». En novembre, rebelote, par l’Inspection générale des finances : «l’industrie agroalimentaire a comprimé ses marges» et «la grande distribution n’a pas contribué à renchérir les prix à la consommation des produits alimentaires», constataient les experts.
Plus récemment, en avril, un rapport de McKinsey concluait que les distributeurs avaient davantage réduit leurs marges que les industriels en 2022, une dynamique qui pourrait se poursuivre cette année, notamment via l’instauration du «trimestre anti-inflation» dans les supermarchés. En juin, l’économiste en chef de la Banque de France soulignait de son côté une hausse des marges du secteur de l’agroalimentaire. «En France, les industries agroalimentaires et les autres industries manufacturières semblent avoir tiré les marges unitaires vers le haut au cours des derniers trimestres», notait-elle. Mais cela s’explique aussi par un «rattrapage», à la suite d’années de diète, en 2020 et 2021. Alors, qui mettra la main à la poche ? Et à quel niveau ?