Et de deux. Après Trenitalia, Renfe profite de l’ouverture à la concurrence en France pour défier la SNCF sur le TGV. Mais, chacun sa tactique : depuis fin 2021, la compagnie italienne vient concurrencer le groupe français sur l’axe le plus rentable : le Paris-Lyon. Pour l’instant, Renfe joue la carte des routes moins fréquentées. En juillet, l’opérateur ferroviaire espagnol historique a commencé à faire rouler ses TGV AVE sur des Barcelone-Lyon et des Madrid-Marseille trois fois par semaine (samedi, dimanche, lundi). Avec des prix imbattables : 9 euros sur un trajet franco-français comme Narbonne-Montpellier quand le trajet valait le plus souvent deux fois plus avec la SNCF ; 19 euros pour un Montpellier-Barcelone ; 29 euros pour un Madrid-Marseille.

« Nous avons déjà vendu 105.000 billets et avons un taux de remplissage de 80% », affirme Susana Lozano, directrice du marché français d’AVE Renfe. « C’est incontestablement un beau succès commercial », estime Jacques Gounon, président de Getlink (ex Eurotunnel). La compagnie espagnole passe donc maintenant à la deuxième étape de son offensive : des liaisons quotidiennes sur le Barcelone-Lyon (depuis le 1 er septembre) et sur le Madrid-Marseille (depuis le 1er octobre). Avec encore des promotions pendant une semaine (du 4 au 10 octobre) au cours de laquelle les prix resteront attractifs même s’ils seront un peu relevés : 19 euros pour un trajet franco-français, 39 euros pour faire Marseille-Madrid. « Après, nous pratiquerons le yield management comme toutes les compagnies en essayant de garder des prix intéressants», souligne Susanna Lozano.

Mine de rien, c’est la première fois que Renfe se risque hors de ses frontières en solo. La compagnie est bien présente en Arabie saoudite, en Amérique latine ou en République tchèque mais toujours avec un partenaire. Alors que la concurrence sur le rail bat son plein en Espagne, le groupe ibérique s’est donné comme objectif de réaliser d’ici 2028 10% de son chiffre d’affaires à l’international. La France, avec son important réseau TGV, constituait logiquement une cible. Mais c’est aussi une question d’opportunité qui a amené Renfe à choisir le Barcelone-Lyon et le Madrid-Marseille pour se faire la main sur le marché hexagonal.

Pendant une petite dizaine d’années, elle a fait équipe avec la SNCF au sein du projet Elipsos pour exploiter ces lignes. Sans grand succès : l’exploitation en a toujours été déficitaire. Le changement d’équipe à la frontière franco-espagnole ne facilitait pas les choses. Et les préoccupations environnementales étaient rarement assez fortes pour faire préférer le train à l’avion. Du coup, début 2022, le groupe français a annoncé à la Renfe qu’il mettrait fin à ce partenariat en 2023. L’Espagnol s’est dit qu’il y avait là un coup à jouer car il connaît déjà en grande partie le terrain.

Un autre facteur l’a aiguillonné. La SNCF a fait une entrée fracassante sur le marché espagnol en y lançant en mai 2021 ses TGV low-cost Ouigo. Au départ, ils ne desservaient que la ligne Madrid-Barcelone. Mais, devant le succès, l’opérateur français a ajouté un Madrid-Valence et un Madrid-Alicante. Et la desserte de Séville ou de Cordoue devrait venir. « Depuis le lancement, nous avons transporté six millions de passagers en Ouigo en Espagne », affirme-t-on chez SNCF Voyageurs. Face à la violence de l’attaque, Renfe a très vite sorti sa propre offre de TGV low cost baptisé Avlo qui a rencontré son public.

Mais les Espagnols sont peut-être un peu lassés de subir des leçons de la part des Français. « Le Barcelone-Lyon et le Madrid-Marseille qu’ils ont lancé récemment, c’est un peu la réponse du berger à la bergère », sourit Arnaud Aymé, spécialiste des transports au sein du cabinet de conseil Sia. En attendant, beaucoup s’interrogent sur la possibilité de gagner de l’argent sur ces routes où existe une offre pléthorique de vols low cost qui permettent de faire un aller-retour dans la journée à bon prix. Les deux premières années d’exploitation devraient être facilitées si SNCF Réseau lui a appliqué, comme à Trenitalia, des péages ferroviaires plus doux sur la partie française, en sa qualité de nouvel entrant.

Renfe n’en restera pas là. Après avoir fait ses gammes dans le Sud, l’Espagnol compte bien ouvrir la ligne Paris-Lyon. Avant les Jeux olympiques si son matériel Talgo S106 est homologué à temps. « Il y a encore une place à prendre pour un opérateur. Depuis que Trenitalia est arrivé sur cette ligne, il y a à peu près 15% de voyageurs en plus », estime Gilles Dansart, éditeur de la lettre spécialisée Mobilettre. Selon les experts, une nouvelle offre ferait encore croître le nombre de voyageurs. Les passagers, eux, auront un autre espoir : une baisse des prix sous l’aiguillon de la concurrence. Après tout, en 2022, l’année où Trenitalia s’est lancé, le prix d’un Paris-Lyon en TGV a reculé de 8%, à 42 euros pour un adulte standard.