Samedi soir, sur le circuit de Losail, plusieurs bouchons de champagne pourraient voler dans les cieux qataris. Dans le paddock, au sein de l’écurie Red Bull qui pourrait célébrer, deux semaines après son titre constructeurs, le troisième sacre de sa tête de gondole et leader incontesté, Max Verstappen. Mais aussi dans les très cosy salons VIP réservés aux dirigeants du Formula One Group, qui possède et exploite les droits commerciaux de la Formule 1. En effet, en instaurant, lors de la saison 2021, le principe des courses sprint, sans doute espéraient-ils vivre un jour un tel scénario, qui verrait un pilote décrocher le titre à l’occasion de ces épreuves disputées le samedi sur un format réduit à 100 kilomètres. Soit grosso modo une demi-heure de course selon les spécificités de tel ou tel circuit.
Un format qui, aujourd’hui encore, se cherche une véritable légitimité sur le plan sportif. Que Max Verstappen va se charger de lui offrir sur un plateau ce samedi ? Rien n’est moins sûr. Ce qui est certain, cependant, c’est que la perspective de voir le Néerlandais décrocher la timbale à cette occasion va nécessairement apporter un coup de projecteur unique sur ces courses sprint, que seuls les amoureux transis prennent le soin de suivre religieusement. Mais que beaucoup d’autres, moins au fait de la F1, vont tout simplement découvrir ce week-end. Car jusqu’à présent, autant être clair d’emblée, aucune course sprint n’a marqué les esprits par son déroulement et son issue. De même, si nombreux sont ceux à savoir que Max Verstappen a remporté 13 victoires en Grand Prix cette année – dont une série record de 10 succès consécutifs –, qui est capable, sans s’aider de Google, de citer le nom des vainqueurs des sprints disputés en Azerbaïdjan, en Autriche et en Belgique ?
Pour votre gouverne, sachez qu’il s’agit de Sergio Perez pour le premier nommé, et de – surprise ! – Max Verstappen pour les deux derniers. Soit un triplé Red Bull qui offre déjà un début de réponse concernant l’intérêt de ce format, vendu au départ comme ultra-spectaculaire et propice aux rebondissements. Mais qui, finalement, ne s’avère être que le reflet de la hiérarchie en grand prix classique. Ou dit autrement, hormis le nombre de tours et la durée, rien ne change entre le samedi et le dimanche. D’où cette question : à quoi servent ces sprints, si ce n’est à affermir un peu plus la domination de Red Bull ? En tout cas, pas à offrir un récital de dépassements à gogo. Né de cette volonté d’apporter du neuf à une discipline en passe de se scléroser, ce concept de sprint avait pris l’ascendant, dans l’esprit des principaux décideurs, sur la farfelue idée d’une course s’élançant avec une grille de départ inversée, les Red Bull partant de la dernière ligne avec l’obligation de remonter tout le plateau. Mais d’un gadget artificiel à un autre qui l’est tout autant, il n’y a qu’un pas, ou qu’un virage, qu’a parfaitement su prendre le Formula One Group.
Lancés pour ajouter du spectacle, les sprints n’ont pour l’instant qu’un intérêt pécuniaire pour la F1, bien décidé à en tirer le maximum de profit possible (billetterie, droits TV…) puisque, après s’être limité à trois sprints par saison en 2021 et 2022, leur chiffre a doublé cette année avec six épreuves. Et là encore, il faut être particulièrement bien informé pour être capable de citer les six circuits concernés, normalement triés sur le volet pour leur côté terrain de jeu propice aux dépassements. Ainsi, après Bakou, Spielberg et Spa-Francorchamps, Losail sera le théâtre de celui de ce samedi, avant qu’Austin (États-Unis) le 21 octobre et Interlagos (Brésil) le 4 novembre ne viennent boucler la boucle. Et d’autres pourraient suivre à court ou moyen terme. Sans la moindre logique sportive, ni le moindre intérêt sur le plan du show.
D’ailleurs, il est amusant de se replonger dans cette déclaration d’un certain Max Verstappen à l’issue de la saison 2022. Celui qui pourrait être sacré samedi, et faire ainsi la publicité de ces courses sprints, n’en est pourtant pas un grand fan. «Pour moi, ce n’est pas vraiment une course, parce que c’est avant la course principale et vous savez qu’il y a beaucoup plus de points disponibles de toute façon. Vous faites un autre départ, ce qui est excitant, mais ce ne sont vraiment que ceux qui ne sont pas en position qui remontent, parce que vous mettez seulement un train de pneus qui ne dure que tout un relais et il ne se passe pas grand-chose. Tout le monde est très prudent parce que si vous vous battez pour la troisième place et que vous avez un petit contact et que vous tombez en dernière position, vous savez que votre dimanche va être difficile (NDLR : ce qui n’est plus le cas en 2023 – classement du sprint et grille de départ dimanche étant décorrélées – sans pour autant que la fête soit plus folle). Probablement que vous ne vous y risquerez pas, donc ce n’est pas vraiment une course. Je pense que l’on devrait se contenter seulement d’une de ces courses.» Alors si même le futur triple champion du monde n’adhère pas à ce gadget…