Chaque exploit est différent. Personne ne le ressent de la même manière. Demandez aux Tonga quels sentiments les envahissaient après leur succès face à la France en 2011. Demandez également au Japon, tombeur des Springboks lors de la Coupe du monde 2015. Pour Le Figaro, le pilier gauche du Portugal et de Béziers, Francisco Fernandes (38 ans), est revenu sur le succès retentissant des siens dimanche face aux Fidji (23-24). «Chico», comme il est surnommé, évoque également la Coupe du monde réussie par la sélection portugaise et nous livre une anecdote aussi folle que mémorable.

Le Figaro. On a d’abord envie de savoir comment vous allez…Francisco Fernandes : Physiquement, on est en cannes ! Mais aussi contents d’avoir fini parce que c’était quand même assez long. Dans la tête, tout va bien. Finir comme ça c’est super pour le mental et le physique.

Avez-vous eu le temps de vous reposer ? On a joué tard mais on a quand même réussi à dormir un peu. Là, on va se faire un petit barbecue entre nous à Blagnac avec le groupe portugais et les familles. Ça va être sympathique !

Réalisez-vous ce qu’il s’est passé ?Sur le moment on n’a pas trop réalisé . On saute de joie, mais c’est en regardant les réseaux sociaux que l’on s’est rendu compte de ce qu’on avait fait. Le nombre de messages de félicitations, d’encouragements, des tweets qui nous remontrent les actions du match… C’est fou. On ne s’en rend compte que le lendemain. Quand tu es dans l’euphorie, tu ne te rends compte de rien. Quand ta tête se repose, tu réfléchis et tu commences à réaliser.

On a le sentiment que vous y avez cru jusqu’au bout… Quand j’ai vu leur danse traditionnelle (le Cibi) après les hymnes, j’ai dit «oula ça va piquer !». Quand ils commencent à te montrer du doigt un par un… Tu te dis, vivement le premier impact pour voir ce que ça donne. Et après, on a rivalisé. On voyait qu’on y était et qu’eux, déjouaient. On plaquait toujours à deux, ils n’avançaient pas, à part sur nos erreurs. On n’a jamais fermé le jeu. Je pense d »ailleurs que tout le monde attendait ce match-là, entre deux équipes qui ont un gros volume de jeu. Petit à petit, on perdait un peu la main mise sur le ballon. Leur densité physique au niveau de leurs remplaçants n’était pas la même que nous mais on savait que derrière on avait des facteurs X comme Storti ou Marta qui, sur une action, pouvaient décanter une situation. C’est ce qui s’est passé à la fin. On attendait ce moment, on savait que c’était possible.

Et ce coup de pied du talonneur Mike Tadjer, comment vous l’analysez-vous ?Non, ça ne m’a pas étonné ! En général, c’est moi qui fais le second rideau vu que je suis à la rue (rires). Mais là, j’ai vu qu’il y était déjà donc je l’ai laissé faire. Puis bon, techniquement il est aussi à l’aise avec les pieds qu’avec les mains donc je savais qu’il allait taper au pied. Il a bien réussi mais après, les Fidjiens ont joué vite et la contre-attaque a piqué… (rires).

Sur cette Coupe du monde, vous êtes-vous surpris ? On s’est surpris parce qu’on était en train de régresser. On a joué les États-Unis, l’Australie A et on pratiquait un rugby bizarre. La Coupe du monde approchait et on n’arrivait pas à monter en puissance. On s’est posé beaucoup de questions mais le premier match contre les Gallois nous a mis en confiance et après, on s’est dit que si on jouait au rugby, rien ne pouvait nous arriver. Si on tenait le ballon, l’adversaire défendra et ne marquera pas de point.

Est-ce qu’on peut parler d’une Coupe du monde réussie ?C’est sûr. Après notre match nul face à la Géorgie (18-18), on l’avait déjà réussi. C’était la première fois dans l’histoire de la sélection que l’on réussissait à faire ça et derrière, on bat les Fidji. Et surtout, on a conquis le public. Tu as un match nul et une victoire mais voir le public et même les commentateurs derrière nous, c’est encore plus beau ! On sentait un vrai engouement autour de nous. Et c’est l’image que l’on voulait envoyer. C’est la Coupe du monde parfaite même si on se dit qu’on aurait pu faire mieux face à la Géorgie. Au final, tu es toujours gourmand même si personne ne nous attendait à ce niveau.

Quel a été le discours de Patrice Lagisquet après la victoire ? Le discours n’a pas été si différent par rapport à d’habitude. On a eu un débriefing à l’hôtel avec tout le monde. Le discours était en anglais alors que moi je ne comprends jamais rien (rires) mais j’ai retenu qu’il nous avait dit qu’on avait réussi la Coupe du monde et qu’il était fier de nous. Venant d’un homme comme ça, tu sais que ses mots ont un sens et un poids.

On a la sensation que Patrice Lagisquet a créé une équipe…Il a soudé un groupe, oui. Il n’a pas forcément créé une équipe mais plus un système de jeu. Il ne nous a jamais bridés, il nous a poussés à jouer deux fois plus que d’habitude… On a envoyé du jeu de partout. Il a voulu nous transmettre le rugby que lui a connu et il a réussi.

Selon vous, quel peut être l’avenir de la sélection des Lobos ? Je n’ai pas trop d’idée. Pas mal de joueurs vont arrêter. Il faudra sans doute filer un coup de main de temps en temps. Après, sur le suivi et l’avenir, je ne sais pas. Il y a de très belles choses à venir mais les jeunes doivent en profiter. Nous, on a fait ce qu’on a pu. À eux de reprendre le flambeau.

Avez-vous une anecdote marquante à nous raconter durant votre Coupe du monde ?Je n’ai même pas besoin de réfléchir ! À Saint-Étienne, on fait un gros match face à l’Australie et on est tous contents. Sauf qu’après la rencontre, on se rend compte que la ville est nulle, qu’il n’y avait rien à faire. Finalement, on fait venir nos familles et on les fait manger au restaurant. On commence à boire une, deux, trois bières… Et on a fini à 6h du matin ! On était dans l’hôtel, dans notre salle vidéo avec le GIGN ! Ils étaient quatre à nous suivre. De toutes, c’était la meilleure bringue possible. C’était génial. Ça ne mange pas de pain. On avait une petite enceinte qui te met la musique, le serveur qui nous autorise à nous servir jusqu’à 5h du matin, et une bonne ambiance. Il ne nous fallait pas grand-chose ! On a créé des liens avec des gens présents pour nous surveiller et qui ne connaissaient pas le rugby. Et à la fin, on se filait même quelques coups de taser (rires).

Face aux Fidji, avez-vous disputé votre dernier match international à 38 ans ? Non, je ne vais pas arrêter parce que j’ai ma 50e sélection à aller chercher. J’en suis à 49 pour l’instant. Il faut donc que j’en fasse une de plus pour passer ce que l’on appelle «légionnaire». J’ai toujours aimé me donner quelques défis dans ma carrière.

Vous avez d’ailleurs marqué un essai sur ce dernier match…Je n’en marque pas trop souvent (rires). En plus c’est celui qui nous fait passer devant… C’était le bon moment. Ma femme me disait «allez marque un essai» et, finalement, tout le monde te dit que grâce à ça, j’ai fait un bon match. Tu marques, tu aplatis, tu vois que l’arbitre l’accorde, tu es comme un gosse ! Tu cries, tu le fêtes, tout le monde te saute dessus et, au final, tu es cuit parce que tu as trop crié (rires) !