Le plan était presque parfait. Bon, d’accord, il était minimaliste, voire simpliste. Taper au pied sans relâche pour mettre sous pression les deux ailiers et l’arrière sud-africains. Et plaquer, batailler dans chaque ruck, plaquer encore, pour étouffer l’adversaire. Mais il a bien failli réussir. Parce que les Anglais, sous une pluie incessante, l’ont réalisé à la perfection, eux qui s’étaient entraînés dans la semaine à l’Insep, à Vincennes, avec des ballons mouillés pour se préparer à la météo du samedi soir au Stade de France. «Les joueurs ont montré ce que cela signifie pour eux de jouer pour l’Angleterre. Ils ont mis leurs tripes sur le terrain», a salué Steve Borthwick, sélectionneur «très très fier» de sa troupe.
Il a bien failli réussir parce que ce cœur à l’ouvrage, cet engagement total – il suffisait de voir dans quel état est sorti Tom Curry, l’infatigable plaqueur, le visage ouvert et la démarche claudicante – a fait douter les champions du monde en titre, du propre aveu de Faf de Klerk. Sans exagérer, on dira même qu’il les a faits paniquer. L’Angleterre a mené de la 3e à la 78e minute et quand Owen Farrell a claqué un drop magnifique pour pousser l’avantage à 15-6 (53e), les Boks ont vraiment vacillé de leur piédestal. «L’Angleterre est une équipe de classe mondiale, complètement différente de ce qu’elle était il y a un an. Elle avait un très bon plan de jeu et il nous a fallu du temps pour nous y habituer. On a su puiser très loin dans nos ressources et nous battre pour aller chercher la victoire», a d’ailleurs reconnu le capitaine de l’Afrique du Sud, Syia Kolisi. Le plus beau des hommages à l’adversaire finalement vaincu.
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«Je pense qu’on a été meilleurs, mais bravo à eux. On avait trouvé la clé pour gagner, c’est comme ça», pouvait grimacer l’inoxydable guerrier Courtney Lawes. En récupérant quatre pénalités à portée de pied d’Owen Farrell dans l’acharné combat d’avants, le plan avait effectivement fonctionné. Mais il était sans recours. Tellement peu de jeu, pas d’occasion d’essai. Presser et défendre. À l’ancienne. Un rugby de dépossession jusqu’à l’outrance et totalement assumé, bien loin des ambitieuses stratégies mises en œuvre par l’Irlande, la France ou les All Blacks. Des considérations qui n’affleurent pas le successeur d’Eddie Jones, à la tête du XV de la Rose depuis moins d’un an : «On avait un plan pour gagner et on n’est pas passé loin», martèle l’ancien deuxième-ligne de devoir.
«Les conditions de jeu étaient difficiles. Le ballon était très glissant, ce qui a donné beaucoup d’importance au jeu au pied, plaide le demi de mêlée Alex Mitchell. On les a mis sous pression et on a bien sûr essayé de les dominer dans les phases statiques pour trouver le moyen de gagner du terrain et d’aller chercher trois points quand on le pouvait. C’est ce qu’on a fait pour l’essentiel.» Et ça a presque suffi pour atteindre la finale. «On était à quelques minutes du match parfait», enrage le deuxième-ligne Maro Itoje. Il a, c’est vrai, manqué peu de choses pour réussir ce qui était encore du domaine de l’impensable il y a deux mois, quand les Fidji sont venus s’imposer à Twickenham confirmant les difficultés anglaises depuis deux ans : se hisser en finale de la Coupe du monde.
«Avant la compétition, beaucoup de gens disaient qu’on ne serait pas très bons et qu’on aurait du mal à sortir de la poule. On a réussi à atteindre les demi-finales», réplique Mitchell. Son remplaçant, le vétéran Danny Care, prolonge : «Beaucoup de choses ont été dites sur cette équipe avant la Coupe du monde, mais on a réussi à faire taire les critiques. On a permis aux gens de croire de nouveau en nous. Cette équipe va continuer de progresser, j’en suis certain.» Steve Borthwick également. Le sélectionneur a souligné que son équipe n’avait eu que quatre mois pour se mettre en place contre «quatre ou huit ans» pour les autres prétendants au titre. Et d’insister : «Quand on regarde cette équipe, on se rend compte qu’il y a beaucoup de très bons joueurs. Et que sept d’entre eux ont 25 ans ou moins aujourd’hui. Personne ne fait mieux parmi les demi-finalistes. L’Afrique du Sud n’en comptait qu’un. Ce groupe a beaucoup de talent, compte des joueurs expérimentés, d’autres moins. Et c’est dans l’adversité, quand c’est dur, qu’on progresse. On va tout faire pour tirer les leçons de ce match pour revenir plus forts à l’avenir.»
Pour valider ce début de renouveau, l’ambition suivante est claire, déjà affichée : battre l’Argentine dans six jours au Stade de France lors de la petite finale pour accrocher la troisième place de cette Coupe du monde. «On va trouver ce qu’on doit améliorer et, vendredi prochain, notre équipe sera meilleure, annonce le sélectionneur anglais. On a d’ores et déjà hâte d’y être. On aurait voulu jouer la finale samedi, mais, maintenant, on va jouer l’Argentine vendredi et on va se préparer consciencieusement. Cette semaine va nous permettre de faire un nouveau pas en avant.»
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Ses joueurs sont au diapason. Le podium ? «Il le faut. On le veut. On aurait voulu être en finale mais on n’y sera pas. Désormais, il ne nous reste qu’à finir troisièmes pour que nos supporters soient fiers. C’est dur mais il faut remonter en selle, on a cette troisième place à aller chercher.» Une détermination partagée. «Je ne pense pas que ce sera compliqué de choisir les joueurs (qui joueront cette petite finale). L’important, c’est de bien finir. On ne sait pas encore qui jouera mais, pour certains, ce sera la dernière occasion de représenter l’Angleterre. Il faut finir le travail», prévient Courtney Lawes. Qui fera probablement partie des joueurs qui arrêteront leur carrière internationale le 27 octobre au soir (comme Joe Marler, Dan Cole ou Ben Youngs).
«Ce sera la dernière Coupe du monde pour certains, pour d’autres non. Après, nos chemins vont donc se séparer, résume le capitaine Owen Farrell. Mais je suis incroyablement fier de ce groupe et de ce qu’on a réussi à faire au cours des cinq derniers mois. Et, quoi qu’il arrive à l’avenir, on va avoir une bonne équipe !» La campagne de France a redonné espoir au XV de la Rose. Et c’est déjà beaucoup.